Le Mozart de la finance : Alstom Belfort
Fin décembre
2014, l'opération de rachat du français Alstom
par l'américain General
Electric
(GE) se matérialisa par une absorption de la branche énergie qui
représentait alors 70% du chiffre d'affaires total.
Concrètement
l’État français a accepté de céder aux américains la
maintenance de nos 58 centrales nucléaires1,
il faudra chérir éternellement nos bienveillants américains sinon
nous risquerions de finir dans l'obscurité... Le montant de la
transaction s'est élevé à 12 milliards de dollars mais les pertes
en terme de souveraineté nationale sont difficilement quantifiables.
Si la dépendance de la France à l'égard des États-Unis dans le
domaine d'énergie était relatif, elle est maintenant critique.
Alstom
était jusqu'alors leader dans le domaine des centrales thermiques,
au charbon ou hydraulique. 178 turbines ont été installées à
travers le monde, soit 30% du parc nucléaire. Cerise sur le gâteau,
la dernière turbine baptisée « Arabelle », plus
fiable et plus performante, assurant un cycle de 60 ans de vie aux
centrales, était devenue un atout majeur de l'industrie française
pour obtenir de nouveaux marchés à l'étranger notamment pour les
nouvelles centrales EPR. Après le rachat d'Alstom, la turbine
« Arabelle » est donc aussi tombée entre les
mains bienveillantes américaines.
Enfin,
la fourniture des turbines de l'ensemble de la flotte navale
de la Marine Nationale est produite par une filiale française de
General Electric, la Thermodyn2,
située dans le Creusot, et le reste par Alstom. Autrement dit
GE a le monopole de la fourniture de matériels stratégiques pour la
sécurité de notre pays.
La
vente d'une autre filiale d'Alstom tombe aussi dans le giron
de GE. Il s'agit de Satellite Tracking Systems, spécialisée
dans les systèmes de repérage par satellite, dont les produits
équipent l'armée française ainsi que des entreprises du secteur de
la défense et de l'espace. Là encore, notre système de défense et
de communication se retrouve entre des mains étrangères, ce qui
d'un point de vue purement stratégique est une hérésie. Rappelons
que les satellites sont notamment utilisés par la direction du
renseignement militaire à la fois pour la dissuasion nucléaire mais
aussi en terme de surveillance relative aux positions militaires
étrangères (alliées ou ennemies).
Jean-Michel
Quatrepoint, journaliste spécialisé en économie qui avait annoncé
la crise économique des subprime en 2008 à travers son ouvrage « La
crise globale 2008 », nous énonce
une opinion pertinente concernant l'affaire ALSTOM : « Il
y a un lien direct entre
la désindustrialisation de la France, son
déficit abyssal du commerce extérieur, sa
perte d'influence dans le monde, la
lente attrition des emplois qualifiés et
les
désastres industriels à répétition que notre pays a
connu depuis vingt ans. De Péchiney à Arcelor, en passant par Bull,
Alcatel, la Générale de Radiologie et aujourd'hui Alstom, la liste
est longue de nos fleurons industriels qui ont été purement et
simplement liquidés par l'absence de vision stratégique de la
classe politique et de la haute administration, par la cupidité et
l'incompétence de certains dirigeants d'entreprise qui ont fait
passer leurs intérêts personnels avant ceux de la collectivité »3.
Retour
sur l'accord et Arnaud Montebourg
Depuis
juillet 2013, Alstom subissait déjà des pressions judiciaires
émanant des États-Unis pour une affaire de corruption concernant un
petit contrat de 110 millions d'euros en Indonésie. Puis, un
protocole d'accord entre les deux monstres énergétiques a été
trouvé le 20 juin 2014, cependant le ministre de l'Economie, Arnaud
Montebourg, était opposé à cette transaction. Il préférait
privilégier le rachat par Siemens et surtout permettre à la France
de garder une relative indépendance dans le domaine énergétique.
Pour cela il fait valoir le « décret
Montebourg » permettant de réglementer les
investissements stratégiques. Mais rapidement Emmanuel Macron a pris
le relais au poste de ministre de l'Economie, opérant un revirement
complet de la position adoptée par son prédécesseur. Ainsi, au
mois de novembre 2014, Macron autorisa l'investissement de GE dans
Alstom. Et le 2 novembre 2015 l'opération fut finalisée après le
feu vert de la Commission Européenne.4
Arnaud
Montebourg se lance dans le commerce du miel, Bleu Blanc Ruche,
Foire de Paris 2019.
Les
grands gagnants de ce deal ont été les américains, les
actionnaires et l'ancien Pdg d'Alstom, Patrick Kron, quittant ses
fonctions avec un parachute doré de 6,5 millions d'euro. Sans
oublier Grégoire Chertok, banquier associé gérant chez Rothschild
& Cie depuis 2000, représentant les intérêts côté Alstom
et un certain Bernard Mourad pour GE représentant la banque
américaine Morgan Stanley.
Finalement,
faute de créations d'emplois comme prévu lors des engagements de GE
avec la France, le géant américain a décidé de supprimer 1.000
postes à Belfort. Au mois de février 2019 Bercy annonçait une
sanction contre GE, une amende de 50 millions d'euros, faute d'avoir
respecté ses promesses en matière d'emploi.5
A combien s'élèvera l'amende pour 1.000 emplois supprimés ?
Le Président de la République a été directement impliqué dans ce
dossier alors qu'il était ministre de l'Economie, comment peut-il
tirer du positif dans une transaction aussi catastrophique en tout
point de vue ? La France a vendu un fleuron de son industrie et
maintenant les salariés français sont gentiment remerciés par
l'Oncle Sam. Et pendant ce temps-là, le Mozart de la finance
s'octroie quelques jours de vacances au Fort de Brégançon.
Frank
D.
1BFM
Business : Que
vont devenir les turbines d'Alstom? Guillaume Paul, 12 juin
2014.
2Filiale
de GE Oil & Gas.
3Le
Figaro Vox : Vente
d'Alstom : le dessous des cartes, Alexandre Devecchio, 5 janvier
2015.
4Le
Monde : Alstom-GE
: l’aboutissement de dix-huit mois de tractations, 2 novembre
2015.
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