USA, Iran, Irak, l'intrus est américain

Parler de géopolitique est un exercice de réflexion imposant des connaissances historiques, cela nécessite aussi d'être aguerri à l'art de mettre en perspective des informations. Evoquer le Moyen-Orient consiste à débattre de la propagande, des opérations clandestines, de pillages, d'assassinats, d'impérialisme, en somme du néo-colonialisme américain.

Les connaissances historiques utiles sont les concepts politiques suivants : la doctrine Monroe, le corollaire de Roosevelt, la théorie de l'arc de crise de l'administration Carter, l'empire du Mal de Ronald Reagan, et l'Axe du Mal de W. Bush aboutissant à la 4ème guerre mondiale qui oppose les forces du bien à une force invisible : le terrorisme.

Le prisme est américain car les Etats-Unis dominent le monde sans partage.

Les accords Sikes-Picot (1916) sont l'un des éléments centraux qui attisent encore la rancœur et les revendications du monde arabe. Comment des étrangers, français et britanniques, ont-ils pu partager des territoires du Moyen-Orient sans consulter ceux qui étaient concernés par cette spoliation ? 

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le principal intervenant dans cette région du monde est la nation étatsunienne. Le Moyen-Orient attise les convoitises américaines pour deux raisons : la présence des plus importantes réserves pétrolières au monde, et la position géostratégique du Moyen-Orient leur permettant d'espionner le voisin russe.

De nos jours, le chef suprême de la révolution islamique est Ali Khameini, un disciple de l'Ayatollah Khomeiny qui s'opposa aux pillages de la politique étrangère américaine. L'assassinat du Général Qassem Soleimai par les forces armées américaines n'a rien d'une innovation ou d'une folie du président Trump. Ce choix militaire s'inscrit dans les gênes des Etats-Unis qui assassina de nombreux opposants et/ou renversa de nombreux régimes entre la fin du 19ème siècle à aujourd'hui.

Dr Mossadegh, Patrice Lumumba, Salvador Allende, Che Guevara, Dr Mossadegh, Manuel Noriega, Saddam Hussein, Oussama Ben Laden...

Voici la belle histoire de l'Iran et de l'Irak durant les années 1980. En apparence des diplomates, des ambassadeurs ou des haut-fonctionnaires de l'administration Reagan, en réalité de simple VRP en déplacement pour négocier des contrats juteux pour les entreprises américaines sur fond de conflit face à l'Iran. Ou comment profiter de l'opportunité de piller un pays dépendant de notre soutien politique économique et militaire ? 



Théorie de l'arc de crise : utilisation de la mouvance islamique pour vaincre le communisme au Moyen-Orient jusqu'en Afghanistan. Président Carter influencé par son Conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski.

Empire du Mal : l'opposant est communiste, toute présence communisme doit être contenue voire réduite. Président Reagan manœuvré par George Bush père.



Irak-Iran « Praying Mantis » (1980-1988)


Le Moyen-Orient - une région détentrice des 3/4 des réserves pétrolifères de la planète, riche en histoire, et traversée par les bibliques fleuves du Tigre et de l'Euphrate - est depuis le début du XXe siècle au centre des préoccupations occidentales. Cette partie de la planète vit au rythme de son instabilité, des conflits sociaux, nationaux, régionaux, et des convoitises étrangères. Depuis la création de l'état d'Israël en 1948, les déséquilibres se sont accentués et la violence est devenue quotidienne. Les premières guerres israélo-arabes se déclenchèrent dès la naissance d'Israël ; s'ensuivit la guerre des six jours en 1967, la guerre du Kippour en 1973, les premières incursions de la Syrie, en 1976, d’Israël, en 1978, au Liban, et les bombardements américains de la Libye en 1986.

A la création d’Israël précédait la déclaration de Lord Balfour en 1917, accordant aux juifs le droit exclusif de fonder un foyer national en Palestine. Peu avant, la Grande-Bretagne et la France avaient abouti aux accords de Sykes-Picot en 1916 pour partager le territoire de l’ancien empire ottoman, trahissant une première promesse, datant de la Première Guerre mondiale, dans laquelle il avait été promis aux arabes qu’un territoire leur serait réservé. Ce sont donc les britanniques et les français qui dessinèrent les frontières du Moyen-Orient telles que nous les connaissons aujourd’hui, lors de l’accord Sykes-Picot, sans prendre en considération l'intérêt de la population. Le Moyen-Orient fut morcelé et le peuple arabe oublié, l’État qui leur avait été promis fut substitué à la cause juive. Le visage du Moyen-Orient, après les accords de Sykes-Picot était le suivant : l’Iran était sous influence russe, la Syrie, le Liban et l’Irak, uniquement la province de Mossoul, sous la tutelle de la France, et le reste du territoire irakien plus la Palestine et la Jordanie sous l’administration des britanniques1..

Entre 1980 et 1988, l'Irak et l'Iran furent le théâtre d'un énième conflit régional, sans comparaison avec les précédents. Les pertes humaines furent considérables, les atrocités nombreuses - tortures, assassinats, usage d'armes chimiques. L'Irak alla jusqu'à lancer un programme génocidaire contre sa propre population.

Les années 1950, 60 et 70, ont été l’avènement des relations américano-iraniennes à travers le Shah, grâce au soutien de la CIA et du MI6, service de renseignements britannique. En 1951, le Dr Mossadegh, alors Premier ministre de l’Iran, opta pour la nationalisation de l’industrie pétrolière. Il fut arrêté pour avoir osé toucher aux intérêts de l’Anglo-Iranian Oil Company. En effet, toutes les intrigues du Moyen-Orient sont liés aux intérêts pétroliers et aux entreprises américaines de ce secteur. Lors de l’opération Ajax, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se chargèrent de cet hérétique qui eut le désir fou de vouloir faire bénéficier des revenus pétroliers à la population iranienne. Le Shah fut ensuite réinstallé à la tête de l’Iran jusqu’à son exil, le 1er janvier 1979, date à laquelle il fut écarté par la révolution islamique2.

Concernant l’Irak, la Grande-Bretagne mit en place une monarchie pour y gérer ses affaires après la Première guerre mondiale. En 1932 l’Irak devenait indépendant mais la monarchie resta inféodée à l’ancien colonisateur britannique jusqu’au coup d’État du 14 juillet 1958 portant au pouvoir le général Abd el-Krim Kassem. En décembre 1961, le général Kassem décréta la nationalisation de l’industrie pétrolière. Le 8 février 1963, il sera renversé puis assassiné par des membres du parti Baas. Les baasistes, incarnés par Saddam Hussein, ont ensuite contrôlé l’Irak pendant 35 ans3. Saddam Hussein entra dans le parti Baas en 1957 ; deux ans plus tard il fut choisi par les dirigeants du parti pour assassiner le général Kassem. Mais la tentative de Saddam Hussein échoua en 1959, il s’en sortit avec une blessure par balle à la jambe. Tout au long des années 1960, Saddam Hussein se démarqua comme l’un des leaders du parti Baas. En 1969, il devint le vice-président d’Ahmed Hassan al-Bakr durant 10 ans, après lesquels il accéda au poste de président pendant l’été 1979. Une note de l’ambassade britannique à Bagdad, datant de 1969, présentait Saddam Hussein al-Tikrit comme un « jeune homme présentable »4.

Les hostilités débutèrent par l'invasion iraquienne de l'Iran le 22 septembre 1980. Une semaine plus tard le Conseil de sécurité de l'ONU adoptait la résolution 479 n'ayant aucune valeur restrictive ou punitive. En effet l’ONU ne condamna pas la violation de l'intégrité territoriale de la République islamique d'Iran. Finalement, dans les années 1980, la communauté internationale (ONU) accordait tacitement le droit d’agression à Saddam Hussein contrairement aux années 19905.

Cette guerre était officiellement due à une dissension de territoire faisant écho à l'accord d'Alger (1975), à savoir le territoire du Chatt al-Arab. L’Irak acceptait de partager le Chatt al-Arab avec l’Iran à la condition que le régime du shah cesse de soutenir les kurdes présents au Nord de l’Irak avec l’aide des États-Unis. Mais la raison officieuse de cette guerre ne relevait pas tant de la volonté de Saddam Hussein que de la volonté occidentale de terrasser le régime islamique instauré par l'ayatollah Khomeyni6. Saddam Hussein fut l’homme de la situation alors que des crimes odieux en Irak et des programmes d’armement se développaient déjà à cette époque, et non pas avant ou après comme Washington a tenté de le faire croire depuis le 11 Septembre 2001 !

Tout à fait logiquement, la vente d’armes conventionnelles devint l’un des enjeux de ce conflit, alimentant à la fois l’Irak et l’Iran. L'Irak possédait une technologie militaire d'origine soviétique alors que l'armement iranien était d'origine américaine, datant de l'ère dictatoriale du shah. Les États-Unis s’efforcèrent de recourir à des tiers pour vendre des stocks d’armes soviétiques à l’Irak, par l’intermédiaire de l’Égypte et des monarchies du Golfe, empruntant le même circuit que pour l’Afghanistan et même le Nicaragua. Les États-Unis avaient de grands intérêts dans ce conflit, tant financiers que stratégiques, puisqu'ils souhaitaient le renversement de l'ayatollah Khomeyni qui avait soustrait l'Iran à l'emprise américaine. Alors que l'Iran fut jusqu’à cette date un poste avancé contre l’empire soviétique, le dernier rempart contre l’« Empire du Mal ».

Pendant les huit années de guerre, l'Administration Reagan arbitra le conflit et approvisionna tour à tour les deux parties afin de prolonger cette guerre opportune pour affaiblir les deux nations ou renverser la vapeur en faveur de l’Irak de Saddam Hussein lorsqu’il se trouva en difficulté en 1982. Les instances internationales observèrent les iraniens, les irakiens mais aussi les kurdes, s'entre-tuer dans ce jeu de massacre ne profitant à aucun des belligérants mais uniquement à ceux qui s’en nourrissaient et en profitaient. La position officielle des États-Unis était la neutralité ; pourtant, ils vendirent des armes à l'Iran pendant cette période - affaire de l'Irangate - et ceci malgré l'idéologie, le régime islamiste qu'ils prétendaient dénigrer, alors qu’ils soutenaient les moudjahidin afghans à la même époque. Pour ce qui est de l'Irak, ils sous-traitèrent les exportations, la plupart du temps, en lui accordant des aides financières et matérielles non négligeables. La politique étrangère des États-Unis était dirigée par leur obsession de l’huile noire, peu importait qu’il faille soutenir ou combattre des communistes assimilés, des islamistes, des dictateurs ou des narcotrafiquants. Quoi qu’il advienne, cela devait leur permettre de préserver leurs intérêts en conservant leur droit d’exploration et d’exploitation, en garantissant la sécurité de la production et de l’approvisionnement ainsi que la stabilité du prix du baril.

Le pétrole iranien, découvert en 1908, avait largement profité aux nations occidentales comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas - partenaires avec la Grande-Bretagne de la Royal Dutch Shell devenue Shell. Les Etats-Unis entrèrent au sein du consortium exploitant les gisements de pétrole en Iran lors d’un accord avec le shah en 1954, juste après l’arrestation du Dr Mossadegh. Les parts se répartissaient comme suit :

  • 40% pour l’Anglo-Iranian Oil Company, devenue British Petroleum Company (BP)
  • 14% pour la Royal Dutch Shell
  • 6% pour la Compagnie Française des Pétroles, aujourd’hui Total
  • 40% divisés équitablement entre les 5 sociétés américaines suivantes, la Standard Oil du New Jersey (Exxon), la Socal de Californie (Chevron), la Socony Vacuum (Mobil), The Texas Company (Texaco) et la Gulf Oil Corporation - 4 de ces firmes appartenaient aux intérêts de la famille Rockefeller - la Gulf Oil Corporation était gérée par la famille Mellon qui fusionna en 1984 avec l’empire pétrolier des Rockefeller pour faire partie intégrante de Chevron.

Les britanniques avaient déjà fort profité de l’or noir iranien depuis la création de l’Anglo-Persian Oil Company en 1909, devenue Anglo-Iranian Oil Company en 1935 et enfin renommée British Petroleum Company en 1954. La dernière opération financière notable de la BP fut le rachat du groupe Amoco, anciennement la Stanolind de l’Indiana, gravitant dans l’orbite des Rockefeller. 

Pour l’Irak, la première goutte de pétrole fut extraite à Kirkouk en 1927. L’année suivante, un accord, avec les mêmes sociétés qu’en Iran, incluant le groupe des 5 sociétés américaines, fut adopté avec la monarchie irakienne ; les compagnies héritèrent de 23,75% des actions au sein du consortium Iraq Petroleum Company (IPC). Les capitalistes étrangers amassèrent des fortunes pendant que les populations iraniennes et irakiennes ne bénéficiaient pas d’un niveau de vie élevé ou de droits humains fondamentaux7.

Les États-Unis, dans leur rôle de bienfaiteurs, permirent de faire durer le conflit entre l'Iran et l'Irak en soutenant tous les protagonistes, ce qui était contraire au principe de neutralité défini dans la résolution 479 du Conseil de sécurité. Les iraniens, à travers l'Irangate, furent officiellement soutenus, à partir de 1985, alors que le régime de Saddam Hussein l'était au moins depuis l’année 1982. A cette période les iraniens prirent le dessus sur les troupes irakiennes qui se retrouvèrent acculées sur la défensive, entraînant un engagement plus manifeste des américains envers l’Irak8. Ainsi, au début des années 1980, plusieurs membres du gouvernement américain se déplacèrent en Irak dans le but de promouvoir de nouvelles et futures relations commerciales entre Washington et Bagdad. L'histoire retiendra notamment cette poignée de main immortalisée en images entre Donald Rumsfeld et Saddam Hussein. Mais le principal objectif de l'Administration Reagan était d'utiliser tous les moyens nécessaires pour empêcher une victoire iranienne afin d’éviter une éventuelle propagation islamique dans le Moyen-Orient.

Le 4 avril 1981, un câble de l’ambassadeur William Eagleton, à Bagdad, adressé au département d’Etat, abordait l’approche à adopter pour la prochaine visite de Morris Draper en Irak. Morris Draper travaillait pour le département d’Etat en tant qu’envoyé spécial du président Reagan au Moyen-Orient. William Eagleton ajoutait dans son télégramme : les États-Unis ont « maintenant une grande convergence d’intérêts avec l’Irak, comme à aucun autre moment depuis la révolution de 1958 ». Le déplacement de Morris Draper à Bagdad, prévu pour le 12 avril, en était l’illustration. Comme le souligne le câble de William Eagleton : les « symboles sont importants pour préparer le terrain à des relations plus tangibles et bénéfiques ».

La dernière visite d’un diplomate américain en Irak fut celle de Phil Habib en 1977. Les relations diplomatiques entre les deux pays étaient rompues depuis la guerre des six jours en 19679. Le 12 avril 1981, Morris Draper rencontra le ministre des Affaires étrangères Sadoon Hammadi à qui il remit une lettre signée par le secrétaire d’État. Le secrétaire d’État Alexander Haig s’adressait, en des termes élogieux, au ministre des Affaires étrangères irakiennes afin de relancer la diplomatie entre Washington et Bagdad, et de manière inhérente les relations commerciales entre les deux nations. Alexander Haig lui communiquait combien l’Irak était considéré par les États-Unis comme « un pays majeur », ayant « établi un ambitieux programme économique de développement », et « possédant la capacité d’influencer les tendances majeures de la région »10. Et le 20 avril 1981, à la suite de ces échanges, la correspondance entre l’Irak et les États-Unis était rétablie. Suivront plusieurs rencontres entre de hauts officiels américains et iraquiens11.

Le 28 mai 1981, l’ambassadeur américain à Bagdad et responsable de l'US Interests Section, William Eagleton, rencontra Tarek Aziz, alors porte-parole de la politique étrangère irakienne. Il n'y avait pas eu de contact aussi important entre de hauts responsables irakiens et américains depuis l’interruption des missions diplomatiques en 1967. Pour pallier à cette carence, une section baptisée US Interests Section avait été créée à l'ambassade belge de Bagdad en 1971 pour représenter les intérêts américains12. En signe de réchauffement, le 27 février 1982, le département d'État américain retira l'Irak de la liste des pays soutenant le terrorisme13. La Libye avait dû attendre encore 24 ans avant de se voir retirer ce statut si peu enviable14. L'Iran et Cuba remplacèrent l'Irak aux côtés de la Syrie, de la Libye et du Yémen. Plus qu’un acte symbolique, cette fois-ci, le but de la manœuvre était de permettre à l'Irak d'avoir accès à des aides du département de l'Agriculture, via le programme Commodity Credit Corporation (CCC), ou à des aides de la banque américaine d’Import-export, EximBank, pour obtenir des crédits ou des produits à usage double, civil et militaire. Ces crédits sont expressément interdits aux pays étiquetés terroristes.

Dans la foulée, le 19 mars 1982, l’Administration Reagan révisa sa stratégie globale relative aux futures orientations politiques, commerciales et militaires, pour les régions du Proche-Orient et du Sud-est asiatique15. Le 12 juillet 1982, après une année et demie de silence et d'inaction, le Conseil de sécurité de l'ONU vota la résolution 514, demandant un cessez-le-feu et l'arrêt immédiat de toute opération militaire16. Etrangement cette décision coïncida avec la fameuse offensive iranienne de Khorramshahr en mai 198217. Celle qui mit l'Irak sur un genou. Puis, l'année suivante, toujours dans l’optique du rapprochement diplomatique entre Washington et Bagdad, le 10 mai 1983, une autre rencontre se déroula à Paris, entre le nouveau secrétaire d'État George Shultz et le ministre des Affaires étrangères Tarek Aziz. George Shultz confirma la position de neutralité américaine dans le conflit opposant l'Irak à l'Iran ; par conséquent, aucune exportation d'armes pour l'une ou l'autre des nations ne devait être effectuée. Mais l'Irak pouvait être soutenu par d'autres moyens, financiers ou tactiques notamment. Tous deux s'entendirent parfaitement sur la question du problème israélo-palestinien partageant une volonté commune d'y remédier, sans pour autant proposer une solution concrète18. Par la suite, le 12 juillet 1983, Ronald Reagan signa la directive de sécurité nationale n°99, qui montrait la volonté américaine de maintenir l'équilibre de la région du Golfe en protégeant ses alliés, ses intérêts, et en coopérant avec les forces arabes pour éviter une escalade du conflit19.

Le 7 octobre 1983, un mémo de Jonathan T. Howe - l'assistant du secrétaire d'État au bureau des Affaires politico-militaires - adressé à Lawrence Eagleburger - le sous-secrétaire d'Etat au bureau des Affaires politiques, la 3e position au département d’Etat - faisait apparaître que les américains fournissaient des renseignements tactiques sur l'emplacement des troupes iraniennes à l'aide d'avions AWACS déployés en Arabie Saoudite depuis le mois d'octobre 1980, et que ces mêmes saoudiens finançaient l'effort de guerre irakien. On peut ajouter les aides financières du Qatar, du Koweït et des Emirats arabes unis pour l’Irak. Dans le mémo de Jonathan Howe, il est aussi question d'un revirement de la position de neutralité américaine qui tournerait selon toutes les hypothèses envisagées à l'avantage de l'Irak20. C'est le prince Bandar Ben Sultan, ambassadeur saoudien aux États-Unis, qui encouragea le Congrès américain à vendre ces avions radars à guidage automatique à l'Arabie Saoudite en 1981. Les 5 AWACS, versions militarisées du Boeing 707, seront délivrés en juin 1986 et mars 1987 pour une facture faramineuse évaluée à 5,8 milliards de dollars, selon une estimation du GAO en 198121.

Le 22 octobre 1983, une information, retransmise par radiodiffusion étrangère, annonçait que l'Irak utilisait des armes chimiques contre l’Iran « pour stopper leur avancée », en violation du protocole de Genève de 192522. En agissant ainsi, l’Irak de Saddam Hussein se rendait coupable d’un crime de guerre. Ce n’était pas le premier écart selon la nouvelle puisque, le 9 août 1983, une cinquantaine de soldats iraniens souffraient de blessures causées par des bombardements irakiens d’armes chimiques. Le Conseil de sécurité répondit à cette accusation le 31 octobre 1983 par la résolution 540 condamnant entre autres les violations du Protocole de Genève concernant la prohibition de gaz asphyxiants ou toxiques23. Cependant ni l'Iran ni l'Irak n'étaient tenus pour responsables ou même sanctionnés alors que l'Iran avait officiellement dénoncé les pratiques irakiennes. L’agression militaire irakienne de l’Iran, au mois de septembre 1980 resta impunie, comme leurs attaques chimiques ; Saddam Hussein avait carte blanche.

Un câble datant du 1er novembre 1983, émanant de Jonathan Howe, et adressé au secrétaire d'Etat George Shultz, affirmait que « l'Irak a acquis la capacité de produire des armes chimiques, essentiellement grâce à des sociétés occidentales, incluant probablement une filiale étrangère des États-Unis »24. Le 8 novembre 1983, l'Iran réclamait une enquête de la part des autorités internationales après la première alerte du 22 octobre 1983. Selon l’Iran, les premières attaques à l’arme chimique de l’Irak remontaient à l’année 198225. Les américains, et la plupart des nations, étaient parfaitement au courant de la situation et des agissements de Saddam Hussein comme le laissent apparaître plusieurs documents déclassifiés. De plus, le régime de Saddam Hussein s’était tourné vers l’occident pour acquérir le matériel nécessaire afin de produire des armes chimiques, les gouvernements occidentaux ne pouvaient ignorer ces faits. Ceci n'empêcha nullement l'Administration Reagan de poursuivre son but et d'apporter son soutien au régime irakien jusqu’à la fin de la guerre. Un autre mémo daté au 21 novembre 1983, en provenance de Jonathan Howe, Washington, destiné à Lawrence Eagleburger, Bagdad, accablait clairement l'Irak. Il y était notifié, hormis le fait que l'Irak utilisait et produisait des armes chimiques, que l’enquête de l'Iran réclamée à l'ONU était un atout de propagande non négligeable envers l'Irak26. L'Administration Reagan se devait de résoudre cet incident dans les plus brefs délais pour éviter de nuire à leur rapprochement avec le régime de Saddam Hussein. Durant trois années, de 1983 à 1986, le Conseil de sécurité de l'ONU n'intervint pas, permettant ainsi aux forces armées irakiennes de déverser leurs gaz toxiques sur les iraniens et les kurdes sans être inquiétés.

Le 20 septembre 1982, l’ambassadeur William Eagleton évoquait la vente imminente d’hélicoptères et d’avions au département de l’Agriculture irakien dans le cadre de la réforme agraire. Ce contrat se concrétisa au début de l’année 1983, comme le confirmait une diplomate, Barbara Bodine, travaillant pour les Intérêts américains à Bagdad27. L’Irak de Saddam Hussein se servait évidemment d’hélicoptères et d’avions pour les bombardements chimiques. L’Administration Reagan feignit de se préoccuper du rendement des terres agricoles irakiennes alors que Saddam Hussein était en plein conflit face à l’Iran. Au début de l’année 1984, il était question de la vente de 2.000 camions, pour une valeur de 227 millions de dollars, comme rapporté dans un mémo du 30 janvier 198428. Les liens entre les Etats-Unis et l’Irak n’avaient jamais été aussi intimes. Les camions appartenaient également à la catégorie du matériel à usage double puisqu’ils pouvaient être utilisés à la fois dans le secteur civil et militaire, par exemple, comme lanceur de missiles ou bien transporteur de matériels militaires, de vivres, et/ou de troupes.

Le 26 novembre 1983, le président Ronald Reagan signa la directive de sécurité nationale n°114, en vue d'augmenter la sécurité des installations et des transactions pétrolières, situées dans le détroit d'Ormuz, golfe Persique, via une présence militaire29. Cette décision marquait un autre changement dans la politique de « neutralité » américaine menée jusqu'ici. Il n'était pas fait mention du problème des armes chimiques dans cette directive. Sur ordre du secrétaire d'État George Shultz, le 20 décembre 1983, Donald Rumsfeld, alors directeur exécutif de la compagnie pharmaceutique GD Searle and Co., rencontra Saddam Hussein à Bagdad pour un entretien de 90 minutes afin de rétablir officiellement la liaison diplomatique avec Washington. Donald Rumsfeld était le nouvel envoyé spécial au Moyen-Orient du président Reagan, et également un conduit pour la transmission d’informations relevées par satellite au sujet du positionnement des troupes ennemies au régime de Saddam Hussein. Durant cette discussion, Donald Rumsfeld et Saddam Hussein parlèrent de leur hostilité commune envers l'Iran, la Libye, la Syrie, mais aussi d'un projet de pipeline à Aqaba en Jordanie, sans jamais faire allusion à l'utilisation d'armes chimiques30. S’ensuivit une seconde entrevue, toujours le 20 décembre, entre Donald Rumsfeld et le Premier ministre irakien Tarek Aziz. Ils abordèrent à nouveau le sujet de la construction d'un pipeline en Irak jusqu'au port d'Aqaba en Jordanie, afin d'augmenter l'exportation du pétrole irakien. Un contrat pour Betchel Group qui s'élevait alors à 2 milliards de dollars et dont l'EximBank devait être le principal financier, selon les désirs de l'Administration Reagan31. On ne sera pas surpris d’apprendre que le secrétaire d’Etat George Shultz et le secrétaire de la Défense Caspar Weinberger étaient tous deux d’anciens employés du Betchel Group. Saddam Hussein préféra, plus tard, s'associer avec la Turquie et l'Arabie Saoudite pour exporter son pétrole. L'envoyé spécial Donald Rumsfeld fit une seule remarque concernant l'utilisation des armes chimiques lors de sa rencontre avec Tarek Aziz ; il lui déclara en substance que cela nuisait à leurs relations et rendait la tâche américaine plus complexe au niveau international.

Le 21 février 1984, l'EximBank faisait part d’une analyse du marché irakien sur les risques et les avantages qu’il pouvait représenter. On apprend que les importations irakiennes des États-Unis ont augmenté de manière exponentielle, 3 147,80%, passant de 23 millions de dollars en 1971 à 724 millions de dollars en 1980. Dans ce rapport, l’EximBank joint une liste présentant les potentiels exportateurs pour l’Irak, on y trouve General Electric, Westinghouse, Betchel, Halliburton, Bell Helicopter ou Lockheed32.

Le 4 mars 1984, un câble du secrétaire d’État George Shultz, à l’attention de William Eagleton, indiquait que deux jours auparavant, une firme américaine s’était préparée à exporter en Irak 22.000 tonnes de produits chimiques par voie aérienne à l’aéroport Kennedy33. Le jour suivant, le département d'État américain finit par condamner officiellement l’Irak pour l'utilisation d'armes chimiques dans le conflit l’opposant au régime islamiste. Le communiqué de presse du département d’Etat s’attarda sur l’Iran, lui demandant de mettre fin au « carnage » et l’accusant de vouloir « éliminer le gouvernement légitime de son voisin irakien ». Le comportement iranien était jugé « incompatible » avec les normes internationales. Cette déclaration officielle des États-Unis diabolisait ouvertement l’Iran en ne condamnant pas fermement l’Irak, qui avait lancé l’offensive au mois de septembre 1980, l’Irak était l’agresseur, non l’inverse34. A l’évidence les États-Unis avaient choisi leur camp. Mais les dirigeants irakiens prirent très au sérieux cette intervention du département d’État américain. Le régime de Saddam Hussein contesta la critique américaine, comme le décrit William Eagleton, le représentant des Intérêts américains en Irak. En effet, le ministre irakien de la Défense, Adman Kharallah, n'hésita pas à rappeler à Washington, lors d'une déclaration devant la presse, que les Etats-Unis d'Amérique n'étaient pas aptes à prodiguer des leçons d'éthique. Il faisait référence à l'utilisation de la bombe atomique au Japon, sur Hiroshima et Nagasaki, durant la Seconde Guerre mondiale, dans le but de limiter les pertes américaines35. Il aurait tout aussi bien pu parler de la guerre bactériologique contre Cuba ou bien du recours à l’agent orange au Vietnam.

Malgré la reconnaissance, par le département d'Etat américain, de l'utilisation d'armes prohibées par l'Irak, selon les termes du Protocole de Genève et en vertu de la politique officielle américaine, le Conseil de la Sécurité Nationale (NSC) ne modifia pas sa politique envers l'Irak. Bien au contraire, les États-Unis s’empressèrent d'aller rencontrer un officiel irakien afin de minimiser « l'incident » et de confirmer leur soutien inconditionnel à Saddam Hussein dans sa lutte contre Khomeyni. La rencontre se déroula à Bagdad, entre Ismet Kittani, sous-secrétaire des Affaires étrangères irakiennes, et Lawrence Eagleburger qui interpréta l'intervention du département d'État comme une décision de principe vis-à-vis de la politique globale américaine plutôt qu'une prise de position pour l'un ou l'autre camp. Cette rencontre fut suivie d’une autre, quelques jours après au mois de mars 1984, entre des officiels du gouvernement irakien et des représentants des Intérêts américains à Bagdad36. Le gouvernement irakien ne cachait pas l'utilisation de telles armes, comme le prouve un câble en provenance des Intérêts américains à Bagdad, pour le département d'État, durant le mois de février 1984. William Eagleton rapportait qu’un porte-parole de l’armée irakienne faisait référence à l’utilisation d’armes chimiques afin de prévenir une imminente offensive iranienne. Ce même militaire irakien poursuivait, dans son communiqué, en expliquant que les agents chimiques devaient être employés, « les envahisseurs doivent savoir que pour chaque insecte nuisible il existe un insecticide capable de les annihiler, peu importe leur nombre, et l’Irak possède cet insecticide destructeur »37. Malgré ce genre de déclarations sans équivoques, Saddam Hussein ne souhaitait pas être accusé de tels actes devant la communauté internationale, et on l’y aida. La plainte de l'Iran fut définitivement classée, le 30 mars 1984, par une déclaration officielle du président du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant l'usage d'armes chimiques sans dénoncer explicitement l'Irak, ni résolution ni sanction ne fut entreprise à l’encontre de l'Irak. Cette décision venait faire écho à la requête de l’ambassadeur irakien à Washington, Nizar Hamdoun. Ce dernier avait réclamé une déclaration du président du Conseil de sécurité, non une résolution, incluant ces 3 éléments précis, il fut exaucé38.

Ainsi, pour éviter une escalade du conflit à plus grande échelle et tenter de limiter l'usage des armes chimiques, Ronald Reagan adopta, le 5 avril 1984, la directive de sécurité nationale n°139. Cette directive prévoyait l'augmentation des forces militaires d'intervention américaines dans le secteur avec l’accord des monarchies du Golfe, Bahrein, Oman et Arabie Saoudite, une possible utilisation de la base américaine de Diego Garcia, située dans un atoll de l'océan indien, et la collecte de renseignements sur l'emplacement des troupes iraniennes. Le texte de cette directive n’oubliait pas de souligner que le comportement des Etats-Unis vis-à-vis de l’utilisation des armes chimiques devait être sans équivoque n’importe où elle pouvait avoir lieu. Mais la grande idée de cette directive était de préparer un plan d’action pour prévenir la chute de l’Irak39. Et le 26 novembre 1984, George Shultz et Tarek Aziz se rencontrèrent pour relancer officiellement le canal diplomatique entre Washington et Bagdad40.

Les américains soutenaient l'Irak aussi bien matériellement, financièrement, qu'au niveau du renseignement militaire, comme le suggèrent divers documents internes au gouvernement. La CIA de William Casey fournissait des bombes à fragmentation (cluster bombs) à l’Irak41. Nous avons déjà évoqué d’autres transactions comme les ventes de camions et d'hélicoptères Bell. Il ne s’agit là que de la partie immergée de l’iceberg. Le 3 mai 1984, l'ancien président Nixon écrivit une lettre au dictateur roumain, Nicolae Ceausescu, afin de lui acheter des uniformes militaires destinés à équiper les soldats irakiens42. Le 9 mai 1984, un mémo émanant du département d'Etat dévoilait sa nouvelle politique afin d’autoriser les exportations en Irak de certains types de produits à usage double, des ordinateurs, des radars, des oscilloscopes, pour la fabrication d'armes nucléaires ou chimiques43. Les Etats-Unis utilisaient également un ou des pays tiers pour vendre du matériel militaire américain ou soviétique. Par exemple l’Égypte vendait des tanks soviétiques à l’Irak puis, en remplacement, faisait l’acquisition de nouveaux chars américains plus modernes44. L’Égypte a également servi, au moins à une reprise, de coursier entre les Etats-Unis et l’Irak en transmettant un message secret à Saddam Hussein en 1986 afin qu'il intensifie les bombardements sur l'Iran. Le message du président Reagan fut délivré par le vice-président George H.W. Bush au président égyptien Mubarak, qui le remit en personne à Saddam Hussein. Cet évènement est cité dans un témoignage d'Howard Teicher, ancien membre du NSC (1982-1986)45.

Du côté des occidentaux et des Etats-Unis, le conflit évolua vers une autre phase, à partir de l'année 1984 ; les tankers et paquebots commerciaux se retrouvèrent alors sous le feu de l'ennemi, l’approvisionnement en pétrole devait être sécurisé. Ainsi, en 1984, nous commençons à parler de guerre du Golfe plutôt que de guerre Iran-Irak. Depuis le début de la guerre et jusqu'à la fin de l'année 1983, 48 navires furent la cible d'attaques aériennes alors que dans la seule année 1984, ce sont 71 navires qui furent touchés. L’Irak avait commencé à bombarder des installations pétrolières ou des convois dès le début du mois de mars 1984, l’Iran répliqua46.

Le 17 Mai 1987, un accident survenu entre un avion de chasse irakien et l'USS Stark fit 37 morts américains, l’Irak prétendit avoir confondu le navire américain avec un navire iranien47. L’Administration Reagan passa l'éponge, Saddam Hussein était toujours sur un piédestal. En revanche, Washington utilisa audacieusement cet événement pour faire porter la responsabilité de l’escalade du conflit à l’Iran et ainsi lancer l’opération Earnest Will.

Les États-Unis firent uniquement pression sur l'Iran de Khomeyni pour qu'il abandonne la lutte sans conditions. Officiellement, ce sont les États-Unis qui contribuèrent à l’escalade du conflit dans le golfe Persique en prenant position pour l’un des belligérants dans le conflit opposant l’Irak à l’Iran, violant ainsi le principe de neutralité. L’Administration Reagan déploya des unités le long de la côte Persique pour protéger l’approvisionnement en pétrole et les installations, entre les mois de mars 1987 et août 1988. Le président Ronald Reagan, prétendant agir à la demande du Koweït, autorisa alors le déclenchement de l’opération Earnest Will au mois de mai 1987 afin d’apporter une escorte navale aux tankers koweitiens et saoudiens. D’autres nations coopérèrent mais comme à son habitude, la puissance américaine était la plus représentée, avec 40% des forces navales suivie par la France (34%) et la Grande-Bretagne (10%)48.

La guerre tardait à s'achever malgré la résolution 598 du Conseil de sécurité de l'ONU, du 20 juillet 1987, qui exigeait un cessez-le-feu. L’Iran était de plus en plus isolé, la pression militaire américaine exercée dans l'espace aérien et les eaux territoriales du détroit d’Ormuz ciblait uniquement l’Iran49. Le 19 octobre 1987, les États-Unis attaquèrent les complexes pétroliers de Rostam et Resalat appartenant à la National Iranian Oil Company (NIOC), détruisant deux plates-formes pétrolières50. Le 29 octobre 1987, le président Ronald Reagan décréta un embargo sur certains types de marchandises iraniennes, comme l’information et le pétrole51. Suite à l’incident du 14 avril 1988, impliquant l’explosion d’une mine sous-marine sur la frégate USS Samuel R. Roberts, causant 10 blessés, les États-Unis lancèrent l’opération Praying Mantis quatre jours plus tard52. Les Etats-Unis avaient accusé l’Iran, sans avancer de preuve probante, alors que l’Irak mouillait également des mines sous-marines. L’escalade militaire n’était finalement venue ni de l’Iran ni de l’Irak mais bien de l’ingérence des puissances étrangères comme celles des États-Unis.

L’opération Praying Mantis se déroula dans le cadre plus large de l’opération Earnest Will, déclinée en plusieurs étapes, et dont cet épisode fut l’apogée. En un jour, l’US Navy et l’US Air Force neutralisèrent le tiers de la flotte iranienne, et détruisirent les plates-formes pétrolières de Sirri et Sassan qui avaient été transformées en bases militaires par l’Iran53. On ne peut que constater le paradoxe entre les réactions américaines concernant les incidents de l’USS Stark et celles concernant l’USS Samuel R. Roberts.

L'hypothétique méprise du 3 juillet 1988 est un autre exemple sordide de la pression américaine sur l’Iran. Un avion de ligne d’Iran Air fut abattu par une frégate américaine, l'USS Vincennes, tuant les 290 passagers du vol 655 sur ordre du capitaine Will Rogers. L’USS Vincennes se trouvait dans les eaux territoriales au moment de l’« accident », il était donc doublement fautif. L’affaire alla devant la Cour Internationale de Justice le 17 mai 1989, sur une instance de l'Iran et se régla dans les coulisses quelques années plus tard54. En 1996, les États-Unis acceptaient de payer des réparations modiques aux victimes du vol 655 pour un total de 100 millions de dollars55. Le coût de l’opération Earnest Will s’éleva à 240 millions de dollars pour le département de la Défense, selon un rapport du GAO56. Il existe un réel fossé entre l’argent investit par les Etats-Unis pour enlever des vies et celui pour les soulager ou les indemniser. Là encore il ne s’agit pas d’un mythe ou de démagogie, mais bel et bien de chiffres évoquant le cynisme d’une puissance impériale.

L'Iran, épuisé militairement et psychologiquement, finit par céder devant l'inflexibilité irakienne et états-unienne. Le 18 juillet 1988, un an après la résolution 598 du Conseil de sécurité de l'ONU et 15 jours après le drame du vol 655 iranien, l’Iran accepta de mettre fin aux hostilités. L'ayatollah Khomeyni décéda au mois de juin 198957.

Durant pratiquement trois années, le Conseil de sécurité de l'ONU n'intervint pas, de 1983 à 1986, permettant aux irakiens de déverser leurs gaz toxiques sur les populations iraniennes et kurdes sans aucunes sanctions58. Ce n’est que le 9 mai 1988, via la résolution 612, que le Conseil de sécurité de l’ONU condamna « énergiquement la poursuite de l’emploi d’armes chimiques dans le conflit entre la République Islamique d’Iran et l’Irak »59. L’ambassadrice américaine à l’ONU, Jeane J. Kirkpatrick, se fit l’avocate de la politique étrangère américaine de 1981 à 1985, c’est à dire de la défense du régime irakien, des Contras et de l’intervention militaire américaine à la Grenade. Vernon A. Walters, son successeur de 1985 à 1989, suivit la même politique avec la Libye, les Contras et l’Irak. On se souvient que Vernon Walters fut le numéro 2 de la CIA à l’époque où George H.W. Bush dirigeait l’Agence60. Dans les années 1980, le vice-président George H.W. Bush collabora étroitement avec le régime baasiste pendant que Vernon A. Walters, à l’ONU, cautionnait et dissimulait des faits gênants pouvant entacher l’image de Saddam Hussein, comme la campagne génocidaire menée contre les kurdes. Bilan estimé entre 50.000 et 100.000 victimes durant les années 1987 et 198861. Le bilan est sans doute plus élevé si l’on considère que l’Irak a acquis une capacité de produire des armes chimiques entre 1982 et 1983.

La communauté internationale laissa le régime de Saddam Hussein perpétrer ses pires crimes durant les années 1980 en stigmatisant les pratiques ou tactiques iraniennes sur le champ de bataille. De nombreux iraniens périrent, utilisés comme martyr de l'islam, pour permettre le passage de leurs tanks en Irak. L’Iran se servait d'une technique desespérée surnommée « human wave ». Cela consistait à sacrifier de jeunes adolescents, les martyrs de l'islam, pour déminer le terrain ou transpercer les lignes ennemis afin de permettre aux tanks iraniens de manœuvrer sans aucun risque.

Le 20 juillet 1987, le Conseil de sécurité de l'ONU adopta la résolution 598, exigeant un cessez-le-feu et l'envoi d'un groupe d'observateurs de l'ONU afin de contrôler la cessation de toutes les opérations militaires et d’enrayer le recours à la violence62. Le 9 mai 1988, la résolution 612 condamnait de nouveau les deux pays pour l'utilisation d'armes chimiques. S'ensuivront 9 résolutions, jusqu'au 31 janvier 1991, concernant en grande partie les groupes d'observateurs militaires, chargés de vérifier la bonne application du cessez-le-feu et des résolutions du Conseil de sécurité concernant les armes chimiques63. Tout ceci est en étroite corrélation avec la politique étrangère américaine à laquelle est inféodée la Grande-Bretagne et très souvent la France.

L'ONU est un outil de la politique étrangère américaine que les Etats-Unis ont largement contribué à créer à la fin de la Seconde guerre mondiale. A cette époque, les Etats-Unis étaient la seule nation capable de décider et d'imposer des principes de droit international en tant que libérateur et grand vainqueur de la Seconde guerre mondiale. De plus, ils sont le plus gros contributeur au budget de l'ONU, à hauteur de 22%, le seuil maximal, même si le règlement du montant peut fluctuer selon l’allégeance de l’ONU envers les exigences américaines64. Le budget de l’ONU permet de financer ses programmes humanitaires, ses agences spécialisées dans le maintien de la paix comme le GOMNUII lors de cette guerre régionale entre l'Irak et l'Iran, ou bien encore des enquêtes ainsi que ces différents organes.

Durant toute la durée des hostilités de la seconde guerre du Golfe, entre 1990 et 1991, l'ONU a joué un rôle foncièrement différent, moins en retrait, plus actif et persuasif car stimulé par les grandes puissances, les États-Unis en tête. Le Conseil de sécurité fut impliqué à l'inverse de la première guerre du Golfe (1980-88) où il n’a été qu’un cynique commentateur.

Le Pentagone aurait aussi financé les kurdes irakiens, alliés de circonstance de l'Iran, toujours dans l'optique de faire durer le conflit. Les kurdes paieront d'ailleurs un lourd tribut, en tant que minorité résistante, puisqu'ils seront constamment victimes des assauts et bombardements chimiques, volontaires, de la part du régime de Saddam Hussein, vraisemblablement à partir 1983. Le massacre perpétuel des kurdes s'accentua lors de la campagne « Al-Anfal » qui avait pour objectif l'épuration ethnique des kurdes durant la période de 1987 à 198865. De nombreux villages kurdes furent gazés et totalement rasés. La catastrophe d'Halabja, les 16 et 17 mars 1988, après le cessez-le-feu de l’ONU, en fut la parfaite et traumatisante expérience. On y aurait dénombré pas moins de 5.000 morts66. Ce crime contre l'humanité n'était pas le premier puisque depuis 1983, les irakiens gazèrent les kurdes à l'aide de produits chimiques tels que du gaz moutarde ou du gaz neurotoxique, tout ceci en application du programme Al-Anfal. Près de 2.000 villages du Kurdistan irakien furent touchés entraînant l’exil de 100.000 kurdes, ayant été exposé au gaz lors du plan Al-Anfal, vers la Turquie, et entre 50.000 et 100.000 morts selon Human Rights Watch67. Dans un rapport sur la campagne Al-Anfal, l’ONG américaine, Human Rights Watch, n’hésite pas à comparer les méthodes du régime de Saddam Hussein à celles des nazis, comme le régime nazi l’Irak a qualifié ses actions avec euphémisme. Là où les officiels nazis parlèrent de « mesures exécutives », d’« actions spéciales » et de « reclassement dans l’est » pour la déportation des juifs dans les camps de concentration, les bureaucrates baasistes parlent de « mesures collectives », de « retour au rang national » et de « reclassement dans le sud ». Mais malgré ces euphémismes, le crime irakien envers les kurdes s’élève au rang de génocide avec « l’intention de détruire, entièrement ou partiellement, un groupe nationale, ethnique, raciale ou religieux, en tant que tel »68.

Ces actes restèrent impunis par l'ONU puisqu’ils impliquaient un certain nombre de complicités et on passa sous silence les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité du régime de Saddam Hussein. Les américains tentèrent de tenir l'Iran pour responsable du gazage des kurdes d’Halabja et ainsi faire de cet incident un crime de guerre iranien. Une attaque chimique iranienne contre les soldats irakiens, incluant des victimes collatérales, aurait pu être considéré comme un crime de guerre à l’initiative des iraniens. Mais en réalité il s'agissait d'un crime contre l'humanité commis de manière planifiée contre le peuple kurde par l'Irak. Pourtant l’Iran avait sonné l’alarme au mois d’octobre 1983, dénonçant l’usage d’armes chimiques par les irakiens. Les États-Unis ne s’en soucièrent guère et l’Irak put pratiquer une politique génocidaire à l’encontre de la population kurde au Nord du pays. Le durcissement de la dictature irakienne continua après la résolution 598 de l'ONU, du 20 Juillet 1987, relative au cessez-le-feu, et après la défaite de l'Iran de Khomeiny, le 18 Juillet 1988, notamment avec le gazage des villages de Birjinni, Gelnaski ou Baluka le 25 Août69. Outre ses capacités chimiques, ses tentatives pour devenir une puissance nucléaire, l’Irak possédait un programme biologique avancé sur divers agents, comme l’anthrax ou la toxine botulique, fournis par les États-Unis. Le rapport Riegle, du 25 mai 1994, confirme cette information avec une liste des exportations de produits biologiques ou agents précurseurs autorisées par le département du Commerce, l’étude est limitée à la période février 1985/novembre 1989. Des bactéries comme l’anthrax causant la maladie respiratoire dite « du charbon », le clostridium botulinum ou toxine botulique qui entraîne des paralysies musculaires et parfois la mort, le histoplasma capsulatum ou histoplasmose qui s’attaque à l’appareil respiratoire et peut être fatal, la brucella melitensis ou brucellose qui provoque des fièvres ou des douleurs articulaires, ou la clostridium perfringens qui provoque la diarrhée ou la gangrène gazeuse selon les souches. Enfin, un rapport du GAO nous apprend que le département du Commerce approuva 771 licences pour l’Irak, incluant des éléments chimiques, pour un montant total de 1,5 milliards de dollars. Le département d’État, quant à lui, accorda 19 licences pour un montant total de 48 millions de dollars pour la protection du régime irakien70.

Ce conflit régional qui opposa l'Irak à l'Iran fit environ 1,7 million de morts71. La fin de la guerre laissa apparaître deux pays endettés, ébranlés par 8 années d'une guerre inutile et n'ayant modifié en aucune manière les données géostratégiques de la région du Golfe, comme l'aurait sans doute secrètement souhaité Saddam Hussein. On retiendra de ce conflit régional le silence et le mutisme des instances internationales à l'encontre des populations iraniennes, irakiennes et même kurdes. En huit années d'atrocités, les tractations ont été trop timorées et anecdotiques pour être décisives, mais comme nous le verrons plus loin l’ONU n’est que le reflet des velléités des grandes puissances. L'ONU ne vota aucune résolution restrictive et contraignante contre l'Irak alors que pendant la seconde guerre du Golfe, qui dura un an, l'ONU prit autoritairement une dizaine de mesures draconiennes à son encontre, dont un embargo total à l'échelle internationale. Durant la première guerre du Golfe Saddam Hussein eut carte blanche contrairement à la seconde où il se retrouva en quarantaine. En plus de ne pas avoir condamné l'Irak pour le gazage des iraniens et des kurdes, contribuant implicitement à l’emploi et à l’escalade de telles pratiques, l'ONU ne sanctionna pas la violation iraquienne de l'intégrité territoriale iranienne, comme ce fut le cas avec le Koweït en 1990. Pourtant l'Irak était bien à l'origine de la première offensive aérienne, lancée sur le territoire iranien le 22 septembre 1980. La réaction des instances internationales fut relativement tardive pour la première guerre du Golfe si nous la comparons avec la réaction immédiate entraînée par l'invasion irakienne du Koweït le 2 août 1990. Dans ce dernier cas, Washington était à l’affût en compagnie de ses fidèles alliés. Quitte à être redondant, les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU sont le cœur de l’organisation, s’ils refusent d’agir alors l’ONU sera muette. Durant les années 1980, Saddam Hussein fut « notre ami », aussi bien pour les anglo-américains que pour les français, les allemands ou les soviétiques. Cependant Saddam Hussein se métamorphosa tout à coup pour devenir un dictateur de la veine d’Adolf Hitler selon la rhétorique employée par le président George H.W. Bush en 1990. Ce même George Herbert Walker Bush fut aussi le premier à verbaliser le concept de « nouvel ordre mondial » (NWO) durant le second conflit du Golfe opposant l'Irak au Koweït.


71 références


Frank D.

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