USA, Iran, Irak, l'intrus est américain
Parler de géopolitique est un exercice de réflexion imposant des connaissances historiques, cela nécessite aussi d'être aguerri à l'art de mettre en perspective des informations. Evoquer le Moyen-Orient consiste à débattre de la propagande, des opérations clandestines, de pillages, d'assassinats, d'impérialisme, en somme du néo-colonialisme américain.
Les connaissances historiques utiles sont les concepts politiques suivants : la doctrine Monroe, le corollaire de Roosevelt, la théorie de l'arc de crise de l'administration Carter, l'empire du Mal de Ronald Reagan, et l'Axe du Mal de W. Bush aboutissant à la 4ème guerre mondiale qui oppose les forces du bien à une force invisible : le terrorisme.
Le prisme est américain car les Etats-Unis dominent le monde sans partage.
Le prisme est américain car les Etats-Unis dominent le monde sans partage.
Les accords Sikes-Picot (1916) sont l'un des éléments centraux qui attisent encore la rancœur et les revendications du monde arabe. Comment des étrangers, français et britanniques, ont-ils pu partager des territoires du Moyen-Orient sans consulter ceux qui étaient concernés par cette spoliation ?
Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le principal intervenant dans cette région du monde est la nation étatsunienne. Le Moyen-Orient attise les convoitises américaines pour deux raisons : la présence des plus importantes réserves pétrolières au monde, et la position géostratégique du Moyen-Orient leur permettant d'espionner le voisin russe.
De nos jours, le chef suprême de la révolution islamique est Ali Khameini, un disciple de l'Ayatollah Khomeiny qui s'opposa aux pillages de la politique étrangère américaine. L'assassinat du Général Qassem Soleimai par les forces armées américaines n'a rien d'une innovation ou d'une folie du président Trump. Ce choix militaire s'inscrit dans les gênes des Etats-Unis qui assassina de nombreux opposants et/ou renversa de nombreux régimes entre la fin du 19ème siècle à aujourd'hui.
Dr Mossadegh, Patrice Lumumba, Salvador Allende, Che Guevara, Dr Mossadegh, Manuel Noriega, Saddam Hussein, Oussama Ben Laden...
Voici la belle histoire de l'Iran et de l'Irak durant les années 1980. En apparence des diplomates, des ambassadeurs ou des haut-fonctionnaires de l'administration Reagan, en réalité de simple VRP en déplacement pour négocier des contrats juteux pour les entreprises américaines sur fond de conflit face à l'Iran. Ou comment profiter de l'opportunité de piller un pays dépendant de notre soutien politique économique et militaire ?
Théorie de l'arc de crise : utilisation de la mouvance islamique pour vaincre le communisme au Moyen-Orient jusqu'en Afghanistan. Président Carter influencé par son Conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski.
Empire du Mal : l'opposant est communiste, toute présence communisme doit être contenue voire réduite. Président Reagan manœuvré par George Bush père.
Irak-Iran « Praying Mantis » (1980-1988)
Le Moyen-Orient - une
région détentrice des 3/4 des réserves pétrolifères de la
planète, riche en histoire, et traversée par les bibliques fleuves
du Tigre et de l'Euphrate - est depuis le début du XXe
siècle au centre des préoccupations occidentales. Cette partie de
la planète vit au rythme de son instabilité, des conflits sociaux,
nationaux, régionaux, et des convoitises étrangères. Depuis la
création de l'état d'Israël en 1948, les déséquilibres se sont
accentués et la violence est devenue quotidienne. Les premières
guerres israélo-arabes se déclenchèrent dès la naissance
d'Israël ; s'ensuivit la guerre des six jours en 1967, la
guerre du Kippour en 1973, les premières
incursions de la Syrie, en 1976, d’Israël, en 1978, au Liban,
et les bombardements américains de la Libye en 1986.
A la création
d’Israël précédait la déclaration de Lord Balfour en 1917,
accordant aux juifs le droit exclusif de fonder un foyer national en
Palestine. Peu avant, la Grande-Bretagne et la France avaient abouti aux accords de Sykes-Picot en 1916 pour partager le territoire de l’ancien
empire ottoman, trahissant une première promesse, datant de la Première Guerre mondiale, dans
laquelle il avait été promis aux arabes qu’un territoire leur
serait réservé. Ce sont donc les britanniques et les
français qui dessinèrent les frontières du Moyen-Orient telles que
nous les connaissons aujourd’hui, lors de
l’accord Sykes-Picot, sans prendre en considération l'intérêt de
la population. Le Moyen-Orient fut morcelé et le peuple arabe
oublié, l’État qui leur avait été promis fut substitué à la
cause juive. Le visage du Moyen-Orient, après les accords de Sykes-Picot
était le suivant : l’Iran était sous influence russe, la
Syrie, le Liban et l’Irak, uniquement la province de Mossoul, sous
la tutelle de la France, et le reste du territoire irakien plus la
Palestine et la Jordanie sous l’administration des britanniques1..
Entre 1980 et 1988,
l'Irak et l'Iran furent le théâtre d'un énième conflit régional,
sans comparaison avec les précédents. Les pertes humaines furent
considérables, les atrocités nombreuses - tortures, assassinats,
usage d'armes chimiques. L'Irak alla jusqu'à lancer un programme
génocidaire contre sa propre population.
Les années 1950,
60 et 70, ont été l’avènement des relations américano-iraniennes à
travers le Shah, grâce au soutien de la CIA et du MI6, service de
renseignements britannique. En 1951, le Dr Mossadegh, alors Premier
ministre de l’Iran, opta pour la nationalisation de l’industrie
pétrolière. Il fut arrêté pour avoir osé toucher aux intérêts
de l’Anglo-Iranian Oil Company. En effet, toutes les intrigues du Moyen-Orient sont liés aux intérêts pétroliers et aux entreprises américaines de ce secteur. Lors de l’opération Ajax,
les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se chargèrent de cet hérétique
qui eut le désir fou de vouloir faire bénéficier des revenus pétroliers à la population iranienne. Le Shah fut ensuite réinstallé à
la tête de l’Iran jusqu’à son exil, le 1er janvier
1979, date à laquelle il fut écarté par la révolution
islamique2.
Concernant l’Irak,
la Grande-Bretagne mit en place une monarchie pour y gérer ses
affaires après la Première guerre mondiale. En 1932 l’Irak
devenait indépendant mais la monarchie resta inféodée à l’ancien
colonisateur britannique jusqu’au coup d’État du 14 juillet 1958
portant au pouvoir le général Abd el-Krim Kassem. En décembre
1961, le général Kassem décréta la nationalisation de l’industrie
pétrolière. Le 8 février 1963, il sera renversé puis assassiné
par des membres du parti Baas. Les baasistes, incarnés par Saddam
Hussein, ont ensuite contrôlé l’Irak pendant 35 ans3.
Saddam Hussein entra dans le parti Baas en 1957 ; deux ans plus
tard il fut choisi par les dirigeants du parti pour assassiner le
général Kassem. Mais la tentative de Saddam Hussein échoua en
1959, il s’en sortit avec une blessure par
balle à la jambe. Tout au long des années 1960, Saddam Hussein se
démarqua comme l’un des leaders du parti Baas. En 1969, il devint
le vice-président d’Ahmed Hassan al-Bakr durant 10 ans, après
lesquels il accéda au poste de président pendant l’été 1979. Une note de l’ambassade britannique à Bagdad, datant de 1969, présentait Saddam Hussein
al-Tikrit comme un « jeune homme présentable »4.
Les hostilités
débutèrent par l'invasion iraquienne de l'Iran le 22 septembre 1980. Une semaine plus tard le Conseil de sécurité de l'ONU adoptait la
résolution 479 n'ayant aucune valeur restrictive ou punitive. En
effet l’ONU ne condamna pas la violation de l'intégrité
territoriale de la République islamique d'Iran. Finalement, dans les années 1980, la
communauté internationale (ONU) accordait tacitement le droit
d’agression à Saddam Hussein contrairement aux années 19905.
Cette guerre était
officiellement due à une dissension de territoire faisant écho à l'accord d'Alger (1975), à savoir le territoire du Chatt
al-Arab. L’Irak acceptait de partager le Chatt al-Arab avec l’Iran
à la condition que le régime du shah cesse de soutenir les kurdes présents au Nord de l’Irak avec l’aide des États-Unis. Mais la raison
officieuse de cette guerre ne relevait pas tant de la volonté de
Saddam Hussein que de la volonté occidentale de terrasser le régime
islamique instauré par l'ayatollah Khomeyni6.
Saddam Hussein fut l’homme de la situation alors que des
crimes odieux en Irak et des programmes d’armement se développaient déjà à cette époque, et non pas avant ou après comme
Washington a tenté de le faire croire depuis le 11 Septembre 2001 !
Tout à fait logiquement, la vente d’armes conventionnelles devint l’un
des enjeux de ce conflit, alimentant à la fois l’Irak et l’Iran.
L'Irak possédait une technologie militaire d'origine soviétique
alors que l'armement iranien était d'origine américaine, datant de
l'ère dictatoriale du shah. Les États-Unis s’efforcèrent de
recourir à des tiers pour vendre des stocks d’armes soviétiques à
l’Irak, par l’intermédiaire de l’Égypte et des monarchies du
Golfe, empruntant le même circuit que pour
l’Afghanistan et même le Nicaragua. Les États-Unis avaient
de grands intérêts dans ce conflit, tant financiers que
stratégiques, puisqu'ils souhaitaient le renversement de l'ayatollah
Khomeyni qui avait soustrait l'Iran à l'emprise
américaine. Alors que l'Iran fut jusqu’à
cette date un poste avancé contre l’empire
soviétique, le dernier rempart contre l’« Empire du Mal ».
Pendant les huit
années de guerre, l'Administration Reagan arbitra le conflit et
approvisionna tour à tour les deux parties afin de prolonger cette
guerre opportune pour affaiblir les deux nations ou renverser la
vapeur en faveur de l’Irak de Saddam Hussein lorsqu’il se trouva
en difficulté en 1982. Les instances internationales observèrent
les iraniens, les irakiens mais aussi les kurdes, s'entre-tuer dans
ce jeu de massacre ne profitant à aucun des belligérants mais
uniquement à ceux qui s’en nourrissaient et en profitaient. La
position officielle des États-Unis était la neutralité ;
pourtant, ils vendirent des armes à l'Iran pendant cette période -
affaire de l'Irangate - et ceci malgré l'idéologie, le
régime islamiste qu'ils prétendaient dénigrer, alors qu’ils
soutenaient les moudjahidin afghans à la même époque. Pour ce qui
est de l'Irak, ils sous-traitèrent les exportations, la plupart du
temps, en lui accordant des aides financières et matérielles non
négligeables. La politique étrangère des États-Unis était
dirigée par leur obsession de l’huile noire, peu importait qu’il
faille soutenir ou combattre des communistes assimilés, des
islamistes, des dictateurs ou des narcotrafiquants. Quoi qu’il
advienne, cela devait leur permettre de préserver leurs intérêts en conservant leur droit
d’exploration et d’exploitation, en garantissant la sécurité de la
production et de l’approvisionnement ainsi que la stabilité du
prix du baril.
Le pétrole iranien,
découvert en 1908, avait largement profité aux nations occidentales
comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas
- partenaires avec la Grande-Bretagne de la Royal Dutch Shell devenue Shell. Les
Etats-Unis entrèrent au sein du consortium exploitant les gisements de
pétrole en Iran lors d’un accord avec le shah en 1954, juste après
l’arrestation du Dr Mossadegh. Les parts se répartissaient comme
suit :
- 40% pour l’Anglo-Iranian Oil Company, devenue British Petroleum Company (BP)
- 14% pour la Royal Dutch Shell
- 6% pour la Compagnie Française des Pétroles, aujourd’hui Total
- 40% divisés équitablement entre les 5 sociétés américaines suivantes, la Standard Oil du New Jersey (Exxon), la Socal de Californie (Chevron), la Socony Vacuum (Mobil), The Texas Company (Texaco) et la Gulf Oil Corporation - 4 de ces firmes appartenaient aux intérêts de la famille Rockefeller - la Gulf Oil Corporation était gérée par la famille Mellon qui fusionna en 1984 avec l’empire pétrolier des Rockefeller pour faire partie intégrante de Chevron.
Les britanniques avaient déjà fort
profité de l’or noir iranien depuis la création de
l’Anglo-Persian Oil Company en 1909, devenue Anglo-Iranian Oil
Company en 1935 et enfin renommée British Petroleum Company en
1954. La dernière opération financière notable de la BP fut le
rachat du groupe Amoco, anciennement la Stanolind de l’Indiana, gravitant dans l’orbite des Rockefeller.
Pour l’Irak, la première
goutte de pétrole fut extraite à Kirkouk en 1927. L’année
suivante, un accord, avec les mêmes sociétés qu’en Iran,
incluant le groupe des 5 sociétés américaines, fut adopté avec la
monarchie irakienne ; les compagnies héritèrent de 23,75% des
actions au sein du consortium Iraq Petroleum Company (IPC). Les
capitalistes étrangers amassèrent des fortunes pendant que les populations iraniennes et irakiennes ne bénéficiaient pas d’un
niveau de vie élevé ou de droits humains fondamentaux7.
Les États-Unis, dans
leur rôle de bienfaiteurs, permirent de faire durer le conflit entre l'Iran et l'Irak en
soutenant tous les protagonistes, ce qui était contraire au principe
de neutralité défini dans la résolution 479 du Conseil de
sécurité. Les iraniens, à travers l'Irangate, furent
officiellement soutenus, à partir de 1985, alors que le régime de Saddam
Hussein l'était au moins depuis l’année 1982. A cette période les iraniens
prirent le dessus sur les troupes irakiennes qui se retrouvèrent
acculées sur la défensive, entraînant un engagement plus manifeste des américains
envers l’Irak8.
Ainsi, au début des années 1980, plusieurs membres du gouvernement
américain se déplacèrent en Irak dans le but de promouvoir de
nouvelles et futures relations commerciales entre Washington et
Bagdad. L'histoire retiendra notamment cette poignée de main immortalisée en images entre Donald Rumsfeld et Saddam Hussein. Mais le principal objectif de l'Administration Reagan était
d'utiliser tous les moyens nécessaires pour empêcher une victoire
iranienne afin d’éviter une éventuelle propagation islamique dans
le Moyen-Orient.
Le 4 avril 1981, un
câble de l’ambassadeur William Eagleton, à Bagdad, adressé au
département d’Etat, abordait l’approche à adopter pour la
prochaine visite de Morris Draper en Irak. Morris Draper travaillait
pour le département d’Etat en tant qu’envoyé spécial du
président Reagan au Moyen-Orient. William Eagleton ajoutait dans son
télégramme : les États-Unis ont « maintenant une grande
convergence d’intérêts avec l’Irak, comme à aucun autre moment
depuis la révolution de 1958 ». Le déplacement de Morris
Draper à Bagdad, prévu pour le 12 avril, en était l’illustration.
Comme le souligne le câble de William
Eagleton : les « symboles sont importants pour préparer
le terrain à des relations plus tangibles et bénéfiques ».
La dernière visite d’un diplomate américain en Irak fut
celle de Phil Habib en 1977. Les relations diplomatiques entre les
deux pays étaient rompues depuis la guerre des six jours en 19679.
Le 12 avril 1981, Morris Draper rencontra le ministre des Affaires
étrangères Sadoon Hammadi à qui il remit une lettre signée par le secrétaire
d’État. Le secrétaire d’État Alexander Haig s’adressait, en
des termes élogieux, au ministre des Affaires étrangères
irakiennes afin de relancer la diplomatie entre
Washington et Bagdad, et de manière inhérente les relations
commerciales entre les deux nations. Alexander Haig lui communiquait
combien l’Irak était considéré par les États-Unis comme « un
pays majeur », ayant « établi un ambitieux programme
économique de développement », et « possédant la
capacité d’influencer les tendances majeures de la région »10.
Et le 20 avril 1981, à la suite de ces échanges, la correspondance entre l’Irak et les
États-Unis était rétablie. Suivront
plusieurs rencontres entre de hauts officiels américains et iraquiens11.
Le 28 mai 1981,
l’ambassadeur américain à Bagdad et responsable de l'US Interests
Section, William Eagleton, rencontra Tarek Aziz, alors porte-parole
de la politique étrangère irakienne. Il n'y avait pas eu de contact
aussi important entre de hauts responsables irakiens et américains
depuis l’interruption des missions
diplomatiques en 1967. Pour pallier à cette carence, une section baptisée US Interests Section avait été créée à
l'ambassade belge de Bagdad en 1971 pour représenter les intérêts
américains12. En signe de réchauffement, le 27
février 1982, le département d'État
américain retira l'Irak de la liste des pays soutenant le
terrorisme13. La Libye avait dû attendre encore 24 ans avant de se voir retirer ce statut si peu enviable14.
L'Iran et Cuba remplacèrent l'Irak aux côtés de la Syrie,
de la Libye et du Yémen. Plus qu’un acte symbolique, cette
fois-ci, le but de la manœuvre était de permettre à l'Irak d'avoir
accès à des aides du département de l'Agriculture, via le
programme Commodity Credit Corporation (CCC), ou à des aides de la banque américaine
d’Import-export, EximBank, pour obtenir des crédits ou des
produits à usage double, civil et militaire. Ces crédits sont
expressément interdits aux pays étiquetés terroristes.
Dans la foulée, le 19
mars 1982, l’Administration Reagan révisa sa stratégie globale
relative aux futures orientations politiques, commerciales et
militaires, pour les régions du Proche-Orient et du Sud-est
asiatique15. Le 12 juillet 1982, après une année
et demie de silence et d'inaction, le Conseil de sécurité de l'ONU
vota la résolution 514, demandant un cessez-le-feu et l'arrêt
immédiat de toute opération militaire16.
Etrangement cette décision coïncida avec la
fameuse offensive iranienne de Khorramshahr en mai 198217. Celle qui mit l'Irak sur un genou. Puis, l'année suivante, toujours dans l’optique du rapprochement
diplomatique entre Washington et Bagdad, le 10 mai 1983, une autre
rencontre se déroula à Paris, entre le nouveau secrétaire d'État
George Shultz et le ministre des Affaires étrangères Tarek Aziz.
George Shultz confirma la position de neutralité américaine dans le
conflit opposant l'Irak à l'Iran ; par conséquent, aucune
exportation d'armes pour l'une ou l'autre des nations ne
devait être effectuée. Mais l'Irak pouvait être soutenu par
d'autres moyens, financiers ou tactiques notamment. Tous deux
s'entendirent parfaitement sur la question du problème
israélo-palestinien partageant une volonté commune d'y
remédier, sans pour autant proposer une solution concrète18.
Par la suite, le 12 juillet 1983, Ronald Reagan signa la directive
de sécurité nationale n°99, qui montrait la volonté américaine
de maintenir l'équilibre de la région du Golfe en protégeant ses
alliés, ses intérêts, et en coopérant avec les forces arabes pour
éviter une escalade du conflit19.
Le 7 octobre 1983, un
mémo de Jonathan T. Howe - l'assistant du secrétaire d'État au
bureau des Affaires politico-militaires - adressé à Lawrence
Eagleburger - le sous-secrétaire d'Etat au bureau des Affaires
politiques, la 3e position au département d’Etat -
faisait apparaître que les américains fournissaient des
renseignements tactiques sur l'emplacement des troupes iraniennes à
l'aide d'avions AWACS déployés en Arabie Saoudite depuis le mois d'octobre 1980, et que ces mêmes saoudiens finançaient l'effort de
guerre irakien. On peut ajouter les aides financières du Qatar, du
Koweït et des Emirats arabes unis pour l’Irak. Dans
le mémo de Jonathan Howe, il est aussi question d'un revirement de
la position de neutralité américaine qui tournerait selon toutes
les hypothèses envisagées à l'avantage de l'Irak20.
C'est le prince Bandar Ben Sultan, ambassadeur saoudien aux
États-Unis, qui encouragea le Congrès américain à vendre ces
avions radars à guidage automatique à l'Arabie Saoudite en 1981.
Les 5 AWACS, versions militarisées du Boeing 707, seront
délivrés en juin 1986 et mars 1987 pour une facture faramineuse
évaluée à 5,8 milliards de dollars, selon une estimation du GAO en
198121.
Le 22 octobre 1983,
une information, retransmise par radiodiffusion étrangère,
annonçait que l'Irak utilisait des armes chimiques contre l’Iran
« pour stopper leur avancée », en violation du protocole
de Genève de 192522. En
agissant ainsi, l’Irak de Saddam Hussein se rendait coupable d’un
crime de guerre. Ce n’était pas le premier écart selon la
nouvelle puisque, le 9 août 1983, une cinquantaine de soldats
iraniens souffraient de blessures causées par des bombardements
irakiens d’armes chimiques. Le Conseil de sécurité répondit à
cette accusation le 31 octobre 1983 par la résolution 540 condamnant
entre autres les violations du Protocole de Genève concernant la
prohibition de gaz asphyxiants ou toxiques23.
Cependant ni l'Iran ni l'Irak n'étaient tenus pour responsables ou
même sanctionnés alors que l'Iran avait officiellement dénoncé
les pratiques irakiennes. L’agression
militaire irakienne de l’Iran, au mois de septembre 1980 resta
impunie, comme leurs attaques chimiques ; Saddam Hussein avait
carte blanche.
Un câble datant du 1er novembre
1983, émanant de Jonathan Howe, et adressé au secrétaire d'Etat
George Shultz, affirmait que « l'Irak a acquis la capacité de
produire des armes chimiques, essentiellement grâce à des sociétés
occidentales, incluant probablement une filiale étrangère des
États-Unis »24. Le 8 novembre 1983, l'Iran
réclamait une enquête de la part des autorités internationales
après la première alerte du 22 octobre 1983. Selon l’Iran, les
premières attaques à l’arme chimique de l’Irak remontaient à
l’année 198225. Les américains, et la plupart
des nations, étaient parfaitement au courant de la situation et des
agissements de Saddam Hussein comme le laissent apparaître plusieurs
documents déclassifiés. De plus, le régime
de Saddam Hussein s’était tourné vers l’occident pour acquérir
le matériel nécessaire afin de produire des armes chimiques, les
gouvernements occidentaux ne pouvaient ignorer ces faits. Ceci
n'empêcha nullement l'Administration Reagan de poursuivre son but et
d'apporter son soutien au régime irakien jusqu’à la fin de la
guerre. Un autre mémo daté au 21 novembre 1983, en provenance de
Jonathan Howe, Washington, destiné à Lawrence Eagleburger, Bagdad,
accablait clairement l'Irak. Il y était notifié, hormis le fait que
l'Irak utilisait et produisait des armes chimiques, que l’enquête
de l'Iran réclamée à l'ONU était un atout de propagande non
négligeable envers l'Irak26. L'Administration
Reagan se devait de résoudre cet incident dans les plus brefs délais
pour éviter de nuire à leur rapprochement avec le régime de Saddam
Hussein. Durant trois années, de 1983 à 1986, le Conseil de
sécurité de l'ONU n'intervint pas, permettant ainsi aux forces armées irakiennes de
déverser leurs gaz toxiques sur les iraniens et les kurdes sans être
inquiétés.
Le 20 septembre 1982,
l’ambassadeur William Eagleton évoquait la vente imminente
d’hélicoptères et d’avions au département de l’Agriculture
irakien dans le cadre de la réforme agraire. Ce contrat se
concrétisa au début de l’année 1983, comme le confirmait une
diplomate, Barbara Bodine, travaillant pour les Intérêts américains
à Bagdad27. L’Irak de Saddam Hussein se servait
évidemment d’hélicoptères et d’avions pour les bombardements
chimiques. L’Administration Reagan feignit de
se préoccuper du rendement des terres agricoles irakiennes alors que
Saddam Hussein était en plein conflit face à l’Iran. Au
début de l’année 1984, il était question de la vente de 2.000
camions, pour une valeur de 227 millions de dollars, comme rapporté
dans un mémo du 30 janvier 198428. Les liens entre
les Etats-Unis et l’Irak n’avaient jamais été aussi intimes.
Les camions appartenaient également à la
catégorie du matériel à usage double puisqu’ils pouvaient être
utilisés à la fois dans le secteur civil et militaire, par exemple,
comme lanceur de missiles ou bien transporteur de matériels
militaires, de vivres, et/ou de troupes.
Le 26 novembre 1983,
le président Ronald Reagan signa la directive de sécurité
nationale n°114, en vue d'augmenter la sécurité des installations
et des transactions pétrolières, situées dans le détroit d'Ormuz,
golfe Persique, via une présence militaire29.
Cette décision marquait un autre changement dans la politique de
« neutralité » américaine menée jusqu'ici. Il n'était
pas fait mention du problème des armes chimiques dans cette
directive. Sur ordre du secrétaire d'État George Shultz, le 20
décembre 1983, Donald Rumsfeld, alors directeur exécutif de la
compagnie pharmaceutique GD Searle and Co., rencontra Saddam Hussein
à Bagdad pour un entretien de 90 minutes afin de rétablir
officiellement la liaison diplomatique avec Washington. Donald
Rumsfeld était le nouvel envoyé spécial au Moyen-Orient du
président Reagan, et également un conduit pour la transmission
d’informations relevées par satellite au sujet du positionnement
des troupes ennemies au régime de Saddam Hussein. Durant
cette discussion, Donald Rumsfeld et Saddam Hussein parlèrent de leur
hostilité commune envers l'Iran, la Libye, la Syrie, mais aussi d'un
projet de pipeline à Aqaba en Jordanie, sans jamais faire allusion à
l'utilisation d'armes chimiques30. S’ensuivit
une seconde entrevue, toujours le 20 décembre,
entre Donald Rumsfeld et le Premier ministre irakien Tarek Aziz.
Ils abordèrent à nouveau le sujet de la construction d'un pipeline
en Irak jusqu'au port d'Aqaba en Jordanie, afin d'augmenter
l'exportation du pétrole irakien. Un contrat pour Betchel Group qui
s'élevait alors à 2 milliards de dollars et dont l'EximBank devait
être le principal financier, selon les désirs de l'Administration
Reagan31. On ne sera pas
surpris d’apprendre que le secrétaire d’Etat George Shultz et le
secrétaire de la Défense Caspar Weinberger étaient tous deux
d’anciens employés du Betchel Group. Saddam Hussein
préféra, plus tard, s'associer avec la Turquie et l'Arabie Saoudite
pour exporter son pétrole. L'envoyé spécial Donald Rumsfeld fit
une seule remarque concernant l'utilisation des armes chimiques lors de sa
rencontre avec Tarek Aziz ; il lui déclara en substance que
cela nuisait à leurs relations et rendait la tâche américaine plus
complexe au niveau international.
Le
21 février 1984, l'EximBank faisait part d’une analyse du marché
irakien sur les risques et les avantages qu’il pouvait représenter.
On apprend que les importations irakiennes des États-Unis ont
augmenté de manière exponentielle, 3 147,80%, passant de 23
millions de dollars en 1971 à 724 millions de dollars en 1980. Dans
ce rapport, l’EximBank joint une liste présentant les
potentiels exportateurs pour l’Irak, on y trouve General Electric,
Westinghouse, Betchel, Halliburton, Bell Helicopter ou Lockheed32.
Le 4 mars 1984, un
câble du secrétaire d’État George Shultz, à l’attention de
William Eagleton, indiquait que deux jours auparavant, une firme
américaine s’était préparée à exporter en Irak 22.000
tonnes de produits chimiques par voie aérienne à l’aéroport
Kennedy33. Le jour suivant, le département d'État
américain finit par condamner officiellement l’Irak pour
l'utilisation d'armes chimiques dans le conflit l’opposant au
régime islamiste. Le communiqué de presse du
département d’Etat s’attarda sur l’Iran, lui demandant de
mettre fin au « carnage » et l’accusant de vouloir
« éliminer le gouvernement légitime de son voisin irakien ».
Le comportement iranien était jugé « incompatible »
avec les normes internationales. Cette déclaration officielle des
États-Unis diabolisait ouvertement l’Iran en ne condamnant pas
fermement l’Irak, qui avait lancé l’offensive au mois de
septembre 1980, l’Irak était l’agresseur, non l’inverse34.
A l’évidence les États-Unis avaient choisi leur camp. Mais les
dirigeants irakiens prirent très au sérieux cette
intervention du département d’État américain. Le régime de Saddam Hussein contesta la critique américaine,
comme le décrit William Eagleton, le représentant des Intérêts
américains en Irak. En effet, le ministre irakien de la Défense,
Adman Kharallah, n'hésita pas à rappeler à Washington, lors d'une
déclaration devant la presse, que les Etats-Unis d'Amérique
n'étaient pas aptes à prodiguer des leçons d'éthique. Il faisait
référence à l'utilisation de la bombe atomique au Japon, sur
Hiroshima et Nagasaki, durant la Seconde Guerre mondiale, dans le but
de limiter les pertes américaines35. Il
aurait tout aussi bien pu parler de la guerre bactériologique contre
Cuba ou bien du recours à l’agent orange au Vietnam.
Malgré la
reconnaissance, par le département d'Etat américain, de
l'utilisation d'armes prohibées par l'Irak, selon les termes du
Protocole de Genève et en vertu de la
politique officielle américaine, le Conseil de la Sécurité
Nationale (NSC) ne modifia pas sa politique envers l'Irak. Bien au
contraire, les États-Unis s’empressèrent d'aller rencontrer un
officiel irakien afin de minimiser « l'incident » et de
confirmer leur soutien inconditionnel à Saddam Hussein dans sa lutte
contre Khomeyni. La rencontre se déroula à Bagdad, entre Ismet
Kittani, sous-secrétaire des Affaires étrangères irakiennes, et
Lawrence Eagleburger qui interpréta l'intervention du département
d'État comme une décision de principe vis-à-vis de la politique
globale américaine plutôt qu'une prise de position pour l'un ou
l'autre camp. Cette rencontre fut suivie d’une autre, quelques jours après au mois de
mars 1984, entre des officiels du gouvernement
irakien et des représentants des Intérêts américains à Bagdad36. Le gouvernement irakien
ne cachait pas l'utilisation de telles armes, comme le
prouve un câble en provenance des Intérêts américains à Bagdad,
pour le département d'État, durant le mois de février 1984.
William Eagleton rapportait qu’un
porte-parole de l’armée irakienne faisait référence à
l’utilisation d’armes chimiques afin de prévenir une imminente
offensive iranienne. Ce même militaire irakien poursuivait, dans son
communiqué, en expliquant que les agents chimiques devaient être
employés, « les envahisseurs doivent savoir que pour chaque
insecte nuisible il existe un insecticide capable de les annihiler,
peu importe leur nombre, et l’Irak possède cet insecticide
destructeur »37.
Malgré ce genre de déclarations sans équivoques, Saddam Hussein ne
souhaitait pas être accusé de tels actes devant la communauté
internationale, et on l’y aida. La plainte de l'Iran fut
définitivement classée, le 30 mars 1984, par
une déclaration officielle du président du Conseil de sécurité de
l'ONU condamnant l'usage d'armes chimiques sans dénoncer
explicitement l'Irak, ni résolution ni sanction ne fut entreprise à
l’encontre de l'Irak. Cette décision venait faire écho à la
requête de l’ambassadeur irakien à Washington, Nizar Hamdoun.
Ce dernier avait réclamé une déclaration du président du Conseil
de sécurité, non une résolution, incluant ces 3 éléments précis, il fut exaucé38.
Ainsi, pour éviter
une escalade du conflit à plus grande échelle et tenter de limiter
l'usage des armes chimiques, Ronald Reagan adopta, le 5 avril 1984,
la directive de sécurité nationale n°139. Cette directive
prévoyait l'augmentation des forces militaires d'intervention
américaines dans le secteur avec l’accord des monarchies du Golfe, Bahrein,
Oman et Arabie Saoudite, une possible utilisation de la base
américaine de Diego Garcia, située dans un atoll de l'océan
indien, et la collecte de renseignements sur l'emplacement des troupes iraniennes.
Le texte de cette directive n’oubliait pas de
souligner que le comportement des Etats-Unis vis-à-vis de
l’utilisation des armes chimiques devait être sans équivoque
n’importe où elle pouvait avoir lieu. Mais la grande idée de
cette directive était de préparer un plan d’action pour
prévenir la chute de l’Irak39.
Et le 26 novembre 1984, George Shultz et Tarek Aziz se rencontrèrent
pour relancer officiellement le canal diplomatique entre Washington
et Bagdad40.
Les américains
soutenaient l'Irak aussi bien matériellement, financièrement, qu'au
niveau du renseignement militaire, comme le suggèrent divers documents
internes au gouvernement. La CIA de William Casey fournissait des
bombes à fragmentation (cluster bombs) à l’Irak41.
Nous avons déjà évoqué d’autres
transactions comme les ventes de camions et d'hélicoptères Bell. Il
ne s’agit là que de la partie immergée de l’iceberg. Le
3 mai 1984, l'ancien président Nixon écrivit une lettre au
dictateur roumain, Nicolae Ceausescu, afin de lui acheter des
uniformes militaires destinés à équiper les soldats irakiens42.
Le 9 mai 1984, un mémo émanant du département d'Etat dévoilait sa
nouvelle politique afin d’autoriser les exportations en Irak de
certains types de produits à usage double, des ordinateurs, des
radars, des oscilloscopes, pour la fabrication d'armes nucléaires ou
chimiques43.
Les Etats-Unis utilisaient également un ou des pays tiers pour
vendre du matériel militaire américain ou soviétique. Par exemple
l’Égypte vendait des tanks soviétiques à l’Irak puis, en
remplacement, faisait l’acquisition de nouveaux chars américains
plus modernes44.
L’Égypte a également servi, au moins à une reprise, de coursier
entre les Etats-Unis et l’Irak en transmettant un message secret à
Saddam Hussein en 1986 afin qu'il intensifie les bombardements sur
l'Iran. Le message du président Reagan fut délivré par le
vice-président George H.W. Bush au président égyptien Mubarak, qui
le remit en personne à Saddam Hussein. Cet évènement est cité
dans un témoignage d'Howard Teicher, ancien membre du NSC
(1982-1986)45.
Du côté des occidentaux et des Etats-Unis, le conflit évolua vers une autre
phase, à partir de l'année 1984 ; les tankers et paquebots
commerciaux se retrouvèrent alors sous le feu de l'ennemi,
l’approvisionnement en pétrole devait être sécurisé. Ainsi,
en 1984, nous commençons à parler de guerre du Golfe plutôt que de
guerre Iran-Irak. Depuis le début de la guerre et jusqu'à
la fin de l'année 1983, 48 navires furent la cible d'attaques
aériennes alors que dans la seule année 1984, ce sont 71 navires
qui furent touchés. L’Irak avait commencé à bombarder des
installations pétrolières ou des convois dès le début du mois de
mars 1984, l’Iran répliqua46.
Le 17 Mai 1987, un
accident survenu entre un avion de chasse irakien et l'USS Stark
fit 37 morts américains, l’Irak prétendit avoir confondu le
navire américain avec un navire iranien47.
L’Administration Reagan passa l'éponge, Saddam Hussein était
toujours sur un piédestal. En revanche, Washington utilisa audacieusement cet événement pour faire porter la responsabilité de
l’escalade du conflit à l’Iran et ainsi
lancer l’opération Earnest Will.
Les États-Unis firent uniquement pression sur l'Iran de Khomeyni
pour qu'il abandonne la lutte sans conditions. Officiellement,
ce sont les États-Unis qui contribuèrent à l’escalade du conflit
dans le golfe Persique en prenant position pour l’un des
belligérants dans le conflit opposant l’Irak à l’Iran, violant
ainsi le principe de neutralité. L’Administration Reagan
déploya des unités le long de la côte Persique pour protéger
l’approvisionnement en pétrole et les installations, entre les mois de mars
1987 et août 1988. Le président Ronald
Reagan, prétendant agir à la demande du Koweït, autorisa alors le
déclenchement de l’opération Earnest
Will au mois de mai 1987 afin
d’apporter une escorte navale aux tankers koweitiens et saoudiens.
D’autres nations coopérèrent mais comme à son habitude, la
puissance américaine était la plus représentée, avec 40% des
forces navales suivie par la France (34%) et la Grande-Bretagne (10%)48.
La guerre tardait à
s'achever malgré la résolution 598 du Conseil de sécurité de
l'ONU, du 20 juillet 1987, qui exigeait un cessez-le-feu. L’Iran
était de plus en plus isolé, la pression
militaire américaine exercée dans l'espace aérien et les eaux territoriales du détroit d’Ormuz ciblait uniquement l’Iran49.
Le 19 octobre 1987, les États-Unis attaquèrent
les complexes pétroliers de Rostam et Resalat appartenant à la
National Iranian Oil Company (NIOC),
détruisant deux plates-formes pétrolières50.
Le 29 octobre 1987, le président Ronald Reagan décréta un embargo
sur certains types de marchandises iraniennes, comme l’information
et le pétrole51. Suite à l’incident du 14 avril
1988, impliquant l’explosion d’une mine sous-marine sur la
frégate USS Samuel R. Roberts, causant 10 blessés, les
États-Unis lancèrent l’opération Praying Mantis quatre
jours plus tard52. Les
Etats-Unis avaient accusé l’Iran, sans avancer de preuve probante,
alors que l’Irak mouillait également des mines sous-marines.
L’escalade militaire n’était finalement venue ni de l’Iran ni
de l’Irak mais bien de l’ingérence des puissances étrangères
comme celles des États-Unis.
L’opération Praying Mantis
se déroula dans le cadre plus large de l’opération Earnest
Will, déclinée en plusieurs étapes, et dont cet épisode fut
l’apogée. En un jour, l’US Navy et l’US Air Force
neutralisèrent le tiers de la flotte iranienne, et détruisirent les
plates-formes pétrolières de Sirri et Sassan qui avaient été
transformées en bases militaires par l’Iran53. On ne peut
que constater le paradoxe entre les réactions américaines
concernant les incidents de l’USS Stark et celles concernant
l’USS Samuel R. Roberts.
L'hypothétique méprise du 3
juillet 1988 est un autre exemple sordide de la pression américaine
sur l’Iran. Un avion de ligne d’Iran Air
fut abattu par une frégate américaine, l'USS
Vincennes, tuant les 290 passagers
du vol 655 sur ordre du capitaine Will Rogers. L’USS
Vincennes se trouvait dans les eaux
territoriales au moment de l’« accident », il était
donc doublement fautif. L’affaire alla devant la Cour
Internationale de Justice le 17 mai 1989, sur une instance de l'Iran
et se régla dans les coulisses quelques années plus tard54.
En 1996, les États-Unis acceptaient de payer des
réparations modiques aux victimes du vol 655 pour un total de 100
millions de dollars55.
Le coût de l’opération Earnest Will s’éleva à 240
millions de dollars pour le département de la Défense, selon un
rapport du GAO56. Il existe
un réel fossé entre l’argent investit par les Etats-Unis pour
enlever des vies et celui pour les soulager ou les indemniser. Là
encore il ne s’agit pas d’un mythe ou de démagogie, mais bel et
bien de chiffres évoquant le cynisme d’une puissance impériale.
L'Iran, épuisé
militairement et psychologiquement, finit par céder devant
l'inflexibilité irakienne et états-unienne. Le
18 juillet 1988, un an après la résolution 598 du Conseil de
sécurité de l'ONU et 15 jours après le drame du vol
655 iranien, l’Iran accepta de mettre fin aux hostilités.
L'ayatollah Khomeyni décéda au mois de juin
198957.
Durant pratiquement
trois années, le Conseil de sécurité de l'ONU n'intervint pas, de
1983 à 1986, permettant aux irakiens de déverser leurs gaz toxiques
sur les populations iraniennes et kurdes sans aucunes sanctions58.
Ce n’est que le 9 mai 1988, via la résolution 612, que le Conseil
de sécurité de l’ONU condamna « énergiquement la poursuite
de l’emploi d’armes chimiques dans le conflit entre la République
Islamique d’Iran et l’Irak »59.
L’ambassadrice américaine à l’ONU, Jeane
J. Kirkpatrick, se fit l’avocate de la politique étrangère
américaine de 1981 à 1985, c’est à dire de la défense du régime
irakien, des Contras et de l’intervention militaire américaine à la
Grenade. Vernon A. Walters, son successeur de 1985 à 1989, suivit la
même politique avec la Libye, les Contras et l’Irak. On se
souvient que Vernon Walters
fut le numéro 2 de la CIA à l’époque où George H.W. Bush
dirigeait l’Agence60.
Dans les années 1980, le vice-président George H.W. Bush
collabora étroitement avec le régime baasiste pendant que Vernon
A. Walters, à l’ONU, cautionnait et dissimulait des faits gênants
pouvant entacher l’image de Saddam Hussein, comme la campagne
génocidaire menée contre les kurdes. Bilan estimé
entre 50.000
et 100.000 victimes durant les années 1987 et 198861.
Le bilan est sans doute plus élevé si l’on considère que l’Irak
a acquis une capacité de produire des armes chimiques entre 1982 et
1983.
La
communauté internationale laissa le régime de Saddam Hussein
perpétrer ses pires crimes durant les années 1980 en stigmatisant
les pratiques ou tactiques iraniennes sur le champ de bataille. De
nombreux iraniens périrent, utilisés comme martyr de l'islam, pour
permettre le passage de leurs tanks en Irak. L’Iran se servait
d'une technique desespérée surnommée « human
wave ». Cela consistait à
sacrifier de jeunes adolescents, les martyrs de l'islam, pour déminer
le terrain ou transpercer les lignes ennemis afin de permettre aux
tanks iraniens de manœuvrer sans aucun risque.
Le 20 juillet 1987, le
Conseil de sécurité de l'ONU adopta la résolution 598, exigeant un
cessez-le-feu et l'envoi d'un groupe d'observateurs de l'ONU afin de
contrôler la cessation de toutes les opérations militaires et
d’enrayer le recours à la violence62. Le 9 mai
1988, la résolution 612 condamnait de nouveau les deux pays pour
l'utilisation d'armes chimiques. S'ensuivront 9 résolutions,
jusqu'au 31 janvier 1991, concernant en grande partie les groupes
d'observateurs militaires, chargés de vérifier la bonne application
du cessez-le-feu et des résolutions du Conseil de sécurité
concernant les armes chimiques63. Tout ceci est en
étroite corrélation avec la politique étrangère américaine à
laquelle est inféodée la Grande-Bretagne et très souvent la
France.
L'ONU est un outil de la politique étrangère américaine que les Etats-Unis
ont largement contribué à créer à la fin de la Seconde guerre
mondiale. A cette époque, les Etats-Unis étaient la seule nation
capable de décider et d'imposer des principes de droit international
en tant que libérateur et grand vainqueur de la Seconde guerre
mondiale. De plus, ils sont le plus gros contributeur au budget de
l'ONU, à hauteur de 22%, le seuil maximal, même
si le règlement du montant peut fluctuer selon l’allégeance de
l’ONU envers les exigences américaines64.
Le budget de l’ONU permet de financer ses programmes humanitaires,
ses agences spécialisées dans le maintien de la paix comme le
GOMNUII lors de cette guerre régionale entre l'Irak et l'Iran, ou bien encore des enquêtes
ainsi que ces différents organes.
Durant
toute la durée des hostilités de la seconde guerre du Golfe, entre
1990 et 1991, l'ONU a joué un rôle foncièrement différent, moins
en retrait, plus actif et persuasif car stimulé par les grandes
puissances, les États-Unis en tête. Le Conseil de sécurité fut impliqué à l'inverse de la première guerre du Golfe (1980-88) où
il n’a été qu’un cynique commentateur.
Le Pentagone aurait
aussi financé les kurdes irakiens, alliés de circonstance de
l'Iran, toujours dans l'optique de faire durer le conflit. Les kurdes
paieront d'ailleurs un lourd tribut, en tant que minorité
résistante, puisqu'ils seront constamment victimes des assauts et
bombardements chimiques, volontaires, de la part du régime de Saddam
Hussein, vraisemblablement à partir 1983. Le massacre perpétuel des
kurdes s'accentua lors de la campagne « Al-Anfal »
qui avait pour objectif l'épuration ethnique des kurdes durant la
période de 1987 à 198865. De nombreux villages
kurdes furent gazés et totalement rasés. La catastrophe d'Halabja,
les 16 et 17 mars 1988, après le cessez-le-feu de l’ONU, en fut la
parfaite et traumatisante expérience. On y aurait dénombré pas
moins de 5.000 morts66. Ce crime contre
l'humanité n'était pas le premier puisque depuis 1983, les irakiens
gazèrent les kurdes à l'aide de produits chimiques tels que du gaz
moutarde ou du gaz neurotoxique, tout ceci en application du
programme Al-Anfal. Près de 2.000
villages du Kurdistan irakien furent touchés entraînant l’exil de
100.000 kurdes, ayant été exposé au gaz lors du plan
Al-Anfal, vers la Turquie, et entre 50.000 et 100.000 morts
selon Human Rights Watch67.
Dans un rapport sur la campagne Al-Anfal,
l’ONG américaine, Human Rights Watch, n’hésite pas à comparer
les méthodes du régime de Saddam Hussein à celles des nazis, comme
le régime nazi l’Irak a qualifié ses actions avec euphémisme. Là
où les officiels nazis parlèrent de « mesures exécutives »,
d’« actions spéciales » et de « reclassement
dans l’est » pour la déportation des juifs dans les camps de
concentration, les bureaucrates baasistes parlent de « mesures collectives », de « retour au rang national » et de
« reclassement dans le sud ». Mais malgré ces
euphémismes, le crime irakien envers les kurdes s’élève au rang
de génocide avec « l’intention de détruire, entièrement ou
partiellement, un groupe nationale, ethnique, raciale ou religieux,
en tant que tel »68.
Ces actes restèrent impunis par l'ONU puisqu’ils
impliquaient un certain nombre de complicités et on passa sous silence
les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité du régime de
Saddam Hussein. Les américains tentèrent
de tenir l'Iran pour responsable du gazage des kurdes d’Halabja
et ainsi faire de cet incident un crime de guerre iranien. Une
attaque chimique iranienne contre les soldats irakiens, incluant des
victimes collatérales, aurait pu être considéré comme un crime de
guerre à l’initiative des iraniens. Mais en réalité il
s'agissait d'un crime contre l'humanité commis de manière planifiée
contre le peuple kurde par l'Irak. Pourtant
l’Iran avait sonné l’alarme au mois d’octobre 1983, dénonçant
l’usage d’armes chimiques par les irakiens. Les États-Unis ne
s’en soucièrent guère et l’Irak put pratiquer une politique
génocidaire à l’encontre de la population kurde au Nord du pays.
Le durcissement de la dictature irakienne continua après la
résolution 598 de l'ONU, du 20 Juillet 1987,
relative au cessez-le-feu, et après la défaite de l'Iran de
Khomeiny, le 18 Juillet 1988, notamment avec le gazage des villages
de Birjinni, Gelnaski ou Baluka le 25 Août69.
Outre ses capacités chimiques, ses tentatives pour devenir une
puissance nucléaire, l’Irak possédait un programme biologique
avancé sur divers agents, comme l’anthrax ou la toxine botulique,
fournis par les États-Unis. Le rapport Riegle, du 25 mai 1994, confirme cette information avec une liste des exportations de produits biologiques ou
agents précurseurs autorisées par le département du Commerce,
l’étude est limitée à la période février 1985/novembre 1989.
Des bactéries comme l’anthrax causant la maladie respiratoire dite
« du charbon », le clostridium botulinum ou toxine
botulique qui entraîne des paralysies musculaires et parfois la
mort, le histoplasma capsulatum ou histoplasmose qui s’attaque
à l’appareil respiratoire et peut être fatal, la brucella
melitensis ou brucellose qui provoque des fièvres ou des
douleurs articulaires, ou la clostridium perfringens qui
provoque la diarrhée ou la gangrène gazeuse selon les souches.
Enfin, un rapport du GAO nous apprend que le
département du Commerce approuva 771 licences pour l’Irak,
incluant des éléments chimiques, pour un montant total de 1,5
milliards de dollars. Le département d’État, quant à lui,
accorda 19 licences pour un montant total de 48 millions de dollars
pour la protection du régime irakien70.
Ce conflit régional
qui opposa l'Irak à l'Iran fit environ 1,7 million de
morts71. La fin de la guerre laissa apparaître
deux pays endettés, ébranlés par 8 années d'une guerre inutile et
n'ayant modifié en aucune manière les données géostratégiques de
la région du Golfe, comme l'aurait sans doute secrètement souhaité
Saddam Hussein. On retiendra de ce conflit régional le silence et le
mutisme des instances internationales à l'encontre des populations
iraniennes, irakiennes et même kurdes. En huit années d'atrocités,
les tractations ont été trop timorées et anecdotiques pour être
décisives, mais comme nous le verrons plus
loin l’ONU n’est que le reflet des velléités des grandes
puissances. L'ONU ne vota aucune résolution restrictive et
contraignante contre l'Irak alors que pendant la seconde guerre du
Golfe, qui dura un an, l'ONU prit autoritairement une dizaine de
mesures draconiennes à son encontre, dont un
embargo total à l'échelle internationale. Durant
la première guerre du Golfe Saddam Hussein eut carte blanche
contrairement à la seconde où il se retrouva en quarantaine.
En plus de ne pas avoir condamné l'Irak pour le gazage des iraniens
et des kurdes, contribuant implicitement à l’emploi et à
l’escalade de telles pratiques, l'ONU ne sanctionna pas la violation iraquienne de l'intégrité territoriale iranienne, comme ce fut
le cas avec le Koweït en 1990. Pourtant l'Irak était bien à
l'origine de la première offensive aérienne, lancée sur le
territoire iranien le 22 septembre 1980. La réaction des instances
internationales fut relativement tardive pour la première guerre du
Golfe si nous la comparons avec la réaction immédiate entraînée par
l'invasion irakienne du Koweït le 2 août 1990. Dans ce dernier cas,
Washington était à
l’affût en compagnie de ses fidèles alliés. Quitte à être
redondant, les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU
sont le cœur de l’organisation, s’ils refusent d’agir alors
l’ONU sera muette. Durant les années 1980, Saddam Hussein fut « notre ami », aussi bien pour les anglo-américains que pour les français, les allemands ou les soviétiques. Cependant Saddam Hussein
se métamorphosa tout à coup pour devenir un dictateur de la veine
d’Adolf Hitler selon la rhétorique employée par le président
George H.W. Bush en 1990. Ce même George Herbert Walker Bush fut aussi le premier à verbaliser le concept de « nouvel ordre mondial » (NWO) durant le second conflit du Golfe opposant l'Irak au Koweït.
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Frank D.
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